Actualité

30 avril 2024
J’ai réagi au projet de Programme français Cycle 1 sur le Café pédagogique. J’ai souhaité dans ce texte un rappel à propos du développement de l’enfant: c’est le même depuis longtemps. Ce n’est pas la décision de rendre obligatoire l’école maternelle qui autorise à considérer que les enfants ont été brutalement transformés en élèves qui doivent avancer au pas.
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On n’a jamais vu un enfant qui apprenait à parler en « diversifiant les pronoms » qu’il emploie. On n’a jamais vu un enfant de 3 ans qui pouvait répéter «pouce/pouf». Et on n’a jamais vu de maîtresse-maître de maternelle qui vérifiait les connaissances préalablement «introduites» pour pouvoir passer aux suivantes.

Voilà l’aspect le plus effarant de ce projet : une conception des enfants et de leurs manières d’acquérir le langage qui vient d’une autre planète. Car sur terre, on sait depuis longtemps que les enfants sont, par définition, dotés d’un fonctionnement intelligent qui leur permet d’acquérir (et non d’apprendre) cette activité non-consciente qui s’appelle le langage. Je renvoie à 2 extraits de textes ci-dessous pour illustration.

La totalité des projets français-maths renvoie à une conception caricaturale du métier : tout est dans «l’emploi du temps, la régularité, la récurrence, la cadence, le réemploi», dans des séquences qui ont l’air de venir plus d’un laboratoire que d’une classe, avec une attente de réussite, un protocole d’entraînement, des évaluations, une réitération si besoin, une vérification d’emploi. Bref, on ne risque pas d’embaucher plus d’enseignants en leur demandant un tel travail.

Pourtant, on aurait pu s’attendre à voir approfondie la question du langage des enfants. Celui qui nous étonne, tant ils le travaillent sous toutes ses formes, en produisant du sens, en imitant des intonations, en utilisant des formules dont ils ignorent la signification, et même en inventant des mots et des expressions. On aurait pu lire dans ce texte que des recherches récentes situent vers 4 ans un changement chez les enfants. Alors que jusqu’alors ils focalisent leurs propos sur leurs besoins, leurs envies ou leurs émotions, les voici qui ressentent le pouvoir que leur donne le langage. Ils peuvent faire une blague, ils peuvent mentir, ils peuvent même s’auto-reprendre dans leur énonciation («i me faut des chevals, des, des chevaux»). Ce n’est donc que dans le courant de la MS qu’on peut attirer leur attention sur l’activité langagière elle-même ou sur des éléments de langue. Avant, ça ne les intéresse pas. Heureusement pour eux…

On aurait aussi pu s’attendre à trouver quelques conseils essentiels qui permettent de ne pas aggraver les écarts socio-culturels dès la maternelle : éviter de démarrer une séquence par une question de type « est-ce que quelqu’un sait… ? », choisir des projets de vie dans lesquels les enfants se retrouvent, s’expriment et réfléchissent, constituer des petits groupes de parole pour les enfants qui ont besoin d’une relation rapprochée, autour d’un jeu, d’un problème à résoudre, d’un livre, etc.

Enfin, on aurait aimé trouver une mise à jour de nos connaissances sur le précieux rôle des « feed-backs » dans l’oral. Puisque les recherches montrent qu’il en existe des bons, des mauvais et des catastrophiques. Et devant un essai langagier d’enfant, j’ai cru reconnaître dans le projet un reste de l’attitude V.I.P. que j’ai inventée avec des maîtresses et dont on sait les effets positifs. Sauf que dans ce texte, si V veut bien dire « valoriser », le I d’interpréter est absent alors que pour moi c’est le moment où un adulte montre à un enfant l’exploit dont il est capable. Quant à P, il signifie bien « poser un écart » mais, dans le texte, il sert à montrer son incompétence à l’enfant-auteur. Quel désastre.

Pour l’écrit, il aurait suffi que le groupe de rédaction se cale sur les très nombreux travaux de « litératie émergente » car maintenant, ces connaissances sont partagées au plan international (notamment USA, GB et Australie). J’ai cru que c’était le cas quand j’ai vu les titres des paragraphes « Passer de l’oral à l’écrit ». Mais là non plus il n’y a pas de cohérence. Dès la PS les enfants sont entraînés à de la reconnaissance visuelle de formes écrites (le prénom, puis ses lettres épelées, puis les lettres de mots dans les trois graphies) et on cherche désespérément où est le principe alphabétique dans tout ça. Pourtant, les enseignants savent qu’écrire quelque chose devant les enfants, en décomposant la chaîne sonore du mot qu’ils viennent de prononcer puis en choisissant les lettres correspondantes est l’activité la plus décisive en maternelle. Les enfants découvrent alors le principe alphabétique qu’ils vont utiliser, à leur tour, en tentant d’écrire à partir de l’oral. Pour eux c’est vital.

A partir de 2000, les recherches montrent clairement que seuls les usages sociaux de l’écrit, à condition qu’ils soient éclairés par les explications des adultes, permettent aux enfants de découvrir la clé du mystère : les signes écrits « valent » du langage oral par le biais d’un symbolisme abstrait (les lettres sont des symboles abstraits, mais aussi les paragraphes, les majuscules, les guillemets, etc). Certains auteurs font la différence entre les aspects « externes » de l‘écrit, faciles à imiter par les jeunes enfants mais qui ne les renseignent en rien sur sa fonction symbolique, par opposition aux aspects « conceptuels » de l’écrit. C’est en voyant des adultes « dire quelque chose » en choisissant d’écrire, et atteindre quand même le but qui est de toucher un destinataire, que les enfants « conceptualisent » l’écrit. Ils montrent leur découverte de cet incroyable fonction en essayant d’écrire eux-mêmes, beaucoup, et comme ils peuvent. Voilà la plus belle des évaluations. On appelle ça la « fonction » de l’écrit dans les programmes précédents, ce qui est à distinguer des fonctions des discours écrits (au pluriel) tels qu’ils apparaissent dans le projet (une recette, un mot aux parents, etc). Ces derniers sont encore compris comme un « je te montre – tu nommes ».

Espérons que les enfants échappent à tout le salmigondis de ce projet, surtout ceux qui ont tant besoin de l’école maternelle parce qu’ils n’ont pas l’école à la maison…

Mireille Brigaudiot, avril 2024

Voici 2 citations qu’un siècle sépare. Elles disent presque la même chose.

Extrait de la traduction de Thought and Language, L.S. Vygotski : « le processus de développement des concepts ou des significations de mots exige le développement de toute une série de fonctions (l’attention volontaire, la mémoire logique, l’abstraction, la comparaison et la distinction) et tous ces processus psychiques très complexes ne peuvent être simplement appris et assimilés. C’est pourquoi sous l’angle théorique aucun doute n’est vraiment permis : la thèse selon laquelle l’enfant acquiert dans le processus d’apprentissage scolaire les concepts tout prêts et les assimile comme on assimile n’importe quelle habileté intellectuelle est totalement dénuée de fondement».

Extrait du Rapport National Research Council (U.S.). Committee on Early Childhood Pedagogy, 2001 : « Children develop ideas and concepts at very young ages that help them make sense of their worlds. Learning is not the transfer of new information into an empty receptacle ; it is the building of new understandings by the child on the foundation of existing uderstandings. »

Trad : Les enfants développent des idées et des concepts très tôt et c’est ce qui leur permet de donner du sens aux mondes qui les entourent. Apprendre n’est pas le transfert d’une nouvelle information dans un réceptacle vide ; c’est la construction de nouvelles compréhensions qui prennent place sur les fondements des compréhensions précédentes.

14 avril 2024
Le Conseil Scientifique des Programmes a mis en ligne le projet de Programme français-maths au cycle 1. C’est tellement désespérant que pour l’instant, je n’ai pas la force de réagir. On perd la maternelle (l’école où l’attitude est maternelle, c’est-à-dire calée sur le bien-être de l’enfant) et on perd complètement le langage (tout est performances en langue). Pauvres enfants des milieux défavorisés, c’est vous qui risquez de le payer cher.

3 avril 2024
Voilà une publication pour prendre du recul sur l’Ecole maternelle française: de Ghislain Leroy, L’école maternelle de la performance, Préface d’Eric Plaisance, Peter Lang, 2020.
Deux notes critiques ont été rédigées au sujet de cette recherche:
– par Rachel Gasparini, un compte-rendu commenté, publié dans la Revue Française de Pédagogie, et en ligne
https://cairn.info/revue-francaise-de-pedagogie-2020-4-page-156.htm
– par Fabienne Montmasson-Michel, une note critique, publiée dans Education et Formation, en ligne également
https://journals.openedition.org/rechercheformation/7942

13 Mars 2024
Ecole maternelle en 2024 : attention, ses élèves ne sont pas des adultes en miniature…

A la demande du Ministre de l’Education Attal, le Conseil Supérieur des Programmes a mis en place un groupe de travail d’experts chargés de rédiger un projet de nouveau Programme, qui devrait entrer en vigueur à la rentrée de septembre 2024. C’est bientôt. Regardons le cadre de ce projet dans la lettre de saisine du ministre au CSP, datée du 8 janvier 2024, en ligne.
Une surprise nous attend car il s’agit de « réécriture des programmes de français et de mathématiques de maternelle et des classes CP, CE1 et CE2 (cycle 2) ».
Pour la première fois dans l’histoire de l’école maternelle, les enseignants de ce niveau auront un programme français-maths. Je ne rappellerai pas tout l’historique des textes relatifs à ce niveau de la scolarité, tant chacun sait qu’ils ont toujours été adaptés à l’âge des enfants. Dès le Programme de 1977 -si avant-gardiste en la matière-, il était question de la « pédagogie du développement ». On est alors au tout début de recherches provenant d’horizons divers et dont on dit déjà qu’elles « mettent en valeur une dynamique du développement s’opposant à l’aspect statique d’acquisitions des habitudes et des connaissances à laquelle les programmes de 1887 donnaient la priorité ». Les rubriques du Programme alors proposé portent sur l’affectivité, le corps, l’expression vocale et plastique, l’image et les représentations iconiques, le langage oral et le langage écrit, le développement cognitif avec la conquête des premiers symboles en fin de grande section. Rien à voir avec français – maths. Et pour cause. Tout se joue dans « la connaissance que l’éducateur a de l’enfant, des formes et des besoins de son développement ».
Le saut vers des disciplines des premier et second degrés de l’école vient-il d’une méconnaissance de ces sources ? Est-il dû à l’inclusion de la maternelle dans la scolarité obligatoire ? Celle-ci a-t-elle transformé subitement les élèves au point de ne plus être des enfants ? Espérons que non.

Dans cette optique développementale initiée en 1977 et poursuivie dans toutes les recommandations officielles qui ont suivi, le souci a toujours été : grande prudence mais aussi audace. En effet, les enseignants de cette période de scolarité doivent respecter les savoir-faire des enfants de 3 ans, 4 ans, 5 ans, tout en les accompagnant vers des savoirs-faire de « grands », c’est-à-dire d’enfants de 6-7ans. Par exemple, en utilisant volontairement leur réflexion pour comprendre une histoire, par exemple en utilisant leurs découvertes relatives au passage à l’écriture telles qu’ils les voient dans le monde d’aujourd’hui. Prudence et grande ambition, mais dans un contexte bien particulier.

Ce contexte particulier a été construit par d’innombrables chercheurs qui, depuis 50 ans, ont étudié, analysé, comparé, testé les manières dont les jeunes enfants entrent dans notre culture d’usages langagiers à l’oral et à l’écrit. Ces manières sont « originales », étonnantes pour nous adultes, et n’évoluent pas de manière programmée entre 2 et 6 ans. D’ailleurs, en fin de grande section, les conquêtes des enfants sont loin d’être abouties ou même stabilisées. Un enfant de GS qui vient de mettre trop de peinture et qui dit « ça fait rien pas », produit un énoncé non-canonique et pourtant, il montre ainsi un essai de généralisation de la négation dans notre langue (parce qu’on dit « j’en veux pas » et on dit aussi « ça fait rien »). Un enfant de GS écrit ci-dessous à des copains de classe « je vous demande Doriane mais où t’es » :

On ne peut pas parler d’écriture canonique et pourtant quelle belle trace de savoirs et savoir-faire : l’écrit encode de l’oral, il est lisible, le destinataire va comprendre, le code utilise des lettres, les lettres codent des sons, il ne faut rien oublier du message…
Espérons que le nouveau Programme ne propose pas de « savoirs, compétences et stratégies de raisonnement maîtrisés par les élèves », comme le demande la lettre de projet. Parce qu’on peut dire que rien n’est maîtrisé en matière de langage en fin de maternelle. C’est de progrès vers une maîtrise dont il s’agit. Au diable les repères de progression sur trois années par classes d’âge, au diable les attendus de fin de cycle, surtout s’ils sont calés sur les évaluations nationales de CP. Vive les essais, vive les dynamiques, vive les enfants chercheurs.

Et comme on a la chance de voir que le CSP « prendra en compte les résultats de la recherche la plus récente », cela veut dire que les enfants seront à l’abri des dérives adultocentrées. Car nous vivons justement une époque où les travaux développementaux accumulés sont si nombreux que des synthèses commencent à paraître. Dans le monde anglo-saxon des recherches, ça s’appelle « emergent literacy ». Toutes mettent l’accent sur l’importance de travailler simultanément divers objectifs durant la période préscolaire : en résumé « talking, reading and writing » (parler, écouter des lectures et écrire) sont les activités courantes conseillées car, dans chacune d’elles, les enfants utilisent des habiletés procédurales ET des habiletés conceptuelles. Comme dans le message écrit cité plus haut. De plus, les recherches actuelles précisent les qualités attendues des enseignants pour rendre leurs pratiques plus efficaces, notamment en créant des milieux communautaires porteurs d’essais oraux et écrits (pratiques sociales vraies) et en formant les praticiens aux données développementales (pour leur permettre d’interpréter les productions d’enfants). Je conseille aux rédacteurs du futur programme la lecture de l’article de L. Rohde: doi/10.1177/2158244015577664.

Mireille Brigaudiot, le 10/03/24
Réaction au projet de Programme maternelle, adressée au Café Pédagogique

Mars 2024
L’Observatoire des Zones Prioritaires (OZP) organise une journée Maternelle samedi 25 Mai 2024. A l’ordre du jour: la section des Tout petits, les GS dédoublées et le projet de nouveau Programme français-maths pour la maternelle. On suivra l’événement.

29 Novembre 2023.
Grâce au Café Pédagogique, on peut lire le compte-rendu de l’audience de Roland Goigoux auprès de parlementaires mobilisés sur la question de la lecture.
https://www.cafepedagogique.net/wp-content/uploads/2023/11/Compte-rendu-de-laudition-du-8-novembre-2023.pdf
Un grand merci à lui pour cet argumentaire sain, juste, documenté. Espérons que ces mots qui nous font du bien, à nous travailleurs infatigables pour l’Ecole Maternelle, arrivent aux oreilles des décideurs. Car depuis des années, le Programme de l’école maternelle est ignoré des intervenants de terrain qui appliquent les conseils venus d’en haut. Pourtant, nombre de collègues savent qu’ils ont de vrais résultats et réussites grâce aux objectifs ambitieux relatifs à la culture de l’écrit qu’on y trouve. Attendons pour un retour à de vrais questions d’école, et pas d’autre chose quand on s’adresse aux enseignants.

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2 Novembre 2023. Une bien triste actualité: Nicole Geneix nous a quittés.
Comment parler de cette jeune femme si active, si passionnée, si drôle, si engagée, et à qui le SNU, l’Ecole, les enseignants, les enfants et les chercheurs doivent tant.
Merci merci Nicole, pour nous, chercheurs intéressés par l’école. Tu as fait partie des inventeurs de l’université d’automne du SNUipp.
Merci merci Nicole, pour nous, les enfants qui sont allés et vont à l’école chaque jour. Tu nous as toujours considérés comme ceux auxquels l’enseignement doit s’adapter. Et pas l’inverse. C’est pour ça que tu as fondé un jour l’Association « du côté des enfants » qui nous a rassemblés si souvent, à Paris ou à Cassis.
Merci Nicole, on t’aime

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Organisée par le Centre National d’Etudes des Systèmes Scolaires (CNESCO),
Conférence de comparaisons internationales

BIEN-ETRE A L’ECOLE
Comment les écoles et les établissements scolaires peuvent-ils favoriser le bien-être de leurs élèves et de leurs personnels?
Paris, 21 et 22 novembre 2023
Pour suivre à distance, inscriptions en ligne

https://www.cnesco.fr/events/event/cci-2023-bien-etre-a-l-ecole/

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Plan maternelle
A propos du Plan maternelle, et pour éviter l’apprentissage de la lecture en maternelle, j’ai réagi sur Le Café pédagogique:
https://www.cafepedagogique.net/2023/01/30/mireille-brigaudiot-sur-le-plan-maternelle-et-langage/
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En réaction à un discours ambiant- 20 septembre 2023
Aujourd’hui, Claude Lelièvre se fait porte-parole des enseignants dans l’expresso du Café pédagogique[1] : les enseignants se sentent méprisés, non considérés dans leur professionnalisme et dans leur expertise.
Nous ressentons la même chose en lisant la note d’enjeux intitulée « Ecole : où concentrer nos efforts ? » mise en ligne par l’Institut Montaigne, « laboratoire d’idées français qui défend une vision libérale ».

Pour l’auteur de cette note, si l’école va mal, il faut chercher du côté des enseignants qui l’empêchent de s’améliorer. Ainsi, lorsque l’école ne remplit pas sa mission de compensation des difficultés de certains élèves, une des principales causes réside dans les pratiques des enseignants. Citation :
« Aujourd’hui, l’idéologie … dicte le remplacement de tous les processus d’enseignement traditionnel qui ont fait leur preuve dans le passé et dans d’autres pays, par des ‘processus inductifs tâtonnés’ à partir de l’expérience des élèves -le fameux « pédagogisme ». Ce pédagogisme semble aujourd’hui à l’origine de la grande détresse de l’apprentissage des élèves et des enseignants eux-mêmes. ».
Tout est faux dans ce paragraphe. Tout d’abord, rappelons qu’en 1960, 34% des élèves de CP ont redoublé[2] : de quel « pédagogisme » ont-ils été victimes ? Ce chiffre, 34%, qui nous semble tellement inacceptable aujourd’hui, prouve que l’« enseignement traditionnel » s’est toujours montré incapable de lutter contre l’échec scolaire et de remédier aux inégalités, sauf à brandir telle ou telle « exception consolante », pour reprendre la belle formule de Ferdinand Brunot reprise par Jean-Paul Delahaye[3]. Alors oui, il est bien question de biais idéologique, dans la note d’enjeux produite par l’Institut Montaigne : accuser des « processus inductifs tâtonnés » (?), vouloir réhabiliter un « enseignement traditionnel » (des années 60 ? des années 30 ? jusqu’où faut-il remonter ?), c’est un marqueur idéologique fort du conservatisme social.
L’exemple choisi est celui de l’enseignement du code au C.P. (car celui-ci résume à lui seul le contenu des « fondamentaux » si chers à nos décideurs). On découvre dans ce domaine qu’alors qu’il s’agit d’un « enseignement très technique et non intuitif » ( ??), les enseignants pratiquent une « pédagogie constructiviste… qui contribue à redoubler les difficultés des élèves les plus faibles ». Voilà. Les enseignants laissent tâtonner les élèves au nom d’une « pédagogie constructiviste » dont on serait bien en peine de trouver des traces dans les programmes et dans les classes.

Si on tirait au sort, aujourd’hui, une centaine de parents d’enfants de fin CP en France et qu’on leur demande s’ils ont eu l’impression que l’enseignement de la lecture donné à leurs enfants leur a semblé « structuré » ou « tâtonnant » au fil des « expérimentations » faites par les élèves, tous répondraient que leurs enfants ont eu un enseignement « structuré ». Car tous les enfants de CP ont des manuels, des progressions, des répétitions à faire chaque jour, des exercices, des mots à copier, des gammes à reproduire, etc.

Non, le problème de l’échec des enfants les plus pauvres ne réside pas dans cette caricature. Il est culturel, d’où sa grande complexité. La première maîtrise de l’écrit (qui inclut la lecture et l’écriture) recouvre de nombreuses découvertes abstraites (les valeurs des signes écrits du français par exemple), des familiarisations avec les usages sociaux de l’écrit (quand on écrit à quelqu’un pour communiquer avec lui ou quand on lit l’écrit de quelqu’un), des codes graphiques extrêmement variés qui rendent possible la compréhension d’un message, des régularités orthographiques très nombreuses, etc. Tous ces apprentissages ne dépendent pas d’un enseignement simpliste mais de longues pratiques de l’écrit vivantes, accompagnées, expliquées et qui sont suivies d’essais par les enfants (voilà les résolutions de problèmes). Au bout du compte, ils constituent un acquis culturel.
Donc, oui, les enseignants seront sur le bon chemin s’ils pensent que c’est lorsque « les enfants résolvent eux-mêmes des problèmes qu’ils apprennent le mieux ». Cette formule résume une des étapes d’apprentissages complexe. A quoi sert cette caricature ? Les enseignants n’ont pas besoin d’un tel procès, ils veulent qu’on les laisse travailler, et dans la durée : par exemple, pour l’écrit, ce sont les 6 années, de la PS au CE2, qui sont nécessaires afin que les élèves acquièrent les compétences nécessaires pour continuer à bien apprendre. Les enseignants n’ont que faire des évaluations institutionnelles permanentes, ils en ont assez des injonctions au jour le jour, stop. Ils veulent travailler. C’est de respect qu’ils ont besoin.

Solange Bornaz et Mireille Brigaudiot, anciennes formatrices IUFM de Versailles


[1] https://www.cafepedagogique.net/2023/09/20/claude-lelievre-halte-a-la-morgue-des-forces-de-lecrit/?utm_campaign=Lexpresso_20-09-2023_1&utm_medium=email&utm_source=Expresso
[2] Blot D., Les redoublements dans l’enseignement primaire 1960 à 1966, en ligne sur Persée.
[3] Delahaye J.P., Exception consolante. Un grain de pauvre dans la machine, Editions de la Librairie du labyrinthe, 2021
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