Apprentissage

Apprentissages  langagiers en maternelle

La spécificité de l’école maternelle est qu’elle concerne des enfants tout petits, dès 2 ans, qui sont en plein développement, et qu’elle s’adresse aussi à des enfants allant jusqu’à 5 ans qui vont bientôt aller à la « grande école ». C’est pourquoi on peut considérer qu’elle cible des objectifs développementaux ET scolaires. D’où son nom d’école + maternelle.

1°) le versant développemental des objectifs en maternelle

Durant cette période de la vie, les enfants apprennent d’abord comme ils l’ont fait dès la naissance, selon des modalités développementales. Cela veut dire qu’ils passent d’un état de dépendance totale aux adultes à des comportements progressivement autonomes de manière « naturelle » dans leurs environnements sociaux. Je mets des guillemets à la manière « naturelle » car, en fait, la nature n’explique pas tout. Par exemple, si elle explique l’instinct de succion qu’on retrouve chez tous les mammifères, elle n’explique pas le fait qu’ils vont se mettre à communiquer par le langage. On devrait parler de manières naturelles ET culturelles. On en a eu des traces dans le magnifique DVD Bébés (Studio Canal 2010). Il s’agit de scènes de vie de 4 bébés de la naissance aux premiers pas, au Japon, en Mongolie, aux Etats-Unis et en Namibie.
Si on y voit Ponijao, bébé de Namibie, interagir très tôt verbalement avec sa mère, Bayar, en Mongolie, fait lui, ses expériences du monde dans des exploits moteurs. Voilà les 2 grandes modalités développementales de la petite enfance : le cognitif et le moteur.
Les progrès moteurs naissent, d’une part des imitations (dès quelques jours de vie à 5 ans, cette « programmation » du petit d’homme joue énormément, on le sait depuis les travaux de Piaget), d’autre part grâce aux encouragements et à l’étayage de l’entourage social (comme lorsqu’on fait faire ses premiers pas à un enfant en le tenant par les 2 mains). La répétition des essais est ici décisive parce que c’est difficile pour nos petits. En maternelle, il nous faut donc retenir qu’il est très bon de mélanger les classes d’âge durant les moments d’éducation physique (un enfant de 4 ans et demi qui court vite devant un enfant de 3 ans lui donne envie d’essayer) et qu’il est très très bon de dire Bravo ! au moindre exploit moteur d’un enfant par rapport à lui-même : ça l’encourage.
Les progrès cognitifs langagiers naissent d’une alchimie interactionnelle comprenant le monde (ce que l’enfant perçoit dans son environnement), des paroles qui lui sont adressées à propos de ce monde et des paroles qui lui sont adressées à propos de lui-même.
Les 2 premiers « ingrédients » sont faciles à comprendre : oh regarde le nounours ! dit par un adulte à un enfant devant une image, sert à cet enfant à « stabiliser » cette forme par une étiquette verbale qui, réitérée, deviendra son nom dans la langue maternelle (voir pages 109-113 de mon livre à propos du mot « canard »).
Le troisième « ingrédient » de ces apprentissages cognitifs est plus difficile à comprendre parce qu’il n’est pas seulement relié au réel. C’est ici une parole adressée à l’enfant qui lui indique des liens entre le réel présent, ses expériences passées du réel et parfois les expériences à venir qu’il fera. C’est toute une dynamique du sujet enfant qui est mobilisée en quelques énoncés : toi aussi tu as un nounours, le petit nounours bleu que t’a donné Tata X, et tu verras, quand on ira dans la classe de Y, tu en verras un marron très très gros, on ira le voir. Cet énoncé revient à « enseigner » à l’enfant qu’il existe des objets très différents (taille, couleur, forme) à qui on donne le même nom ; les psychologues du cognitif appelle ça une catégorisation. Et j’ai parlé de « stabilisation » grâce au langage parce que tout étant nouveau pour un petit, il deviendrait fou si ses perceptions ne faisaient que se multiplier sans jamais s’organiser entre elles. En maternelle, il nous faut retenir que l’enseignant fait des commentaires de tout ce qui peut être nouveau pour les enfants et verbalise ce qu’il peut d’une « mise en réseau » du connu, du moins connu, du à connaître. On voit qu’on retrouve la zone proximale du développement de Vygostki. On remarquera que la question décisive des « feed-back » dans les apprentissages de l’oral trouve ici leur logique : c’est en valorisant l’essai verbal d’un enfant puis en lui donnant la bonne forme adulte et/ou en ajoutant des explications que les enfants progressent parce que ce sont des manières de « mettre en réseau » leurs savoirs faire langagiers. A l’enfant qui a dit « parapluie », Oui, ça ressemble à un parapluie, c’est un parasol parce que… .
Parenthèse. Une manière d’enseigner aggrave à coup sûr les écarts entre enfants : introduire du nouveau en posant des questions fermées (Qui sait ce que c’est… ? Qui sait à quoi sert… ?, etc), ce que font tous les maîtres qui n’ont pas eu de formation. Car la réponse de l’enfant qui sait ne vaut jamais le commentaire de la maîtresse. Relisez l’énoncé adulte à propos du nounours !

2°) le versant scolaire des objectifs du langage en maternelle

La maternelle n’a pas seulement à accompagner et favoriser les acquisitions (ici je dis « acquisitions » pour ce qui relève du développement et « apprentissages » pour ce qui relève plus du scolaire), elle a aussi à préparer les enfants à la grande aventure de l’écrit pour que le CP ne soit pas vécu comme le grand piège de l’inconnu total. On est alors hors acquisition développementale parce que la vie ordinaire ne suffit plus. Il va falloir que les enfants arrêtent en quelque sorte leur relation immédiate au réel (par exemple entendre parler un adulte) pour entrer tout doucement dans le monde de nouveaux stimuli. Comme s’ils allaient passer d’une relation directe à une Langue 1 (appelée langue maternelle pour les enfants francophones et langue de l’école pour les autres) à une relation particulière à une langue que je vais appeler Langue 1 bis, la langue de l’écrit.
Entendre
Voici qu’on cogne très fort à sa porte (L1 bis dans le Grand cerf, Classiques Père Castor)
et
Tu vois, là (pointage image du livre) il est tranquille dans sa maison et il entend tout d’un coup un grand bruit parce que quelqu’un tape à sa porte (oral ordinaire L1)
sont 2 perceptions très différentes pour des jeunes enfants. D’où les nombreux appuis que leur donne la maîtresse (ici, pointage image et parler « ordinaire ») pour que ça ne leur paraisse pas bizarre. En maternelle, il nous faut retenir que l’apprentissage de la langue 1bis se fait grâce à ces appuis (ceux-là et bien d’autres) qui vont leur permettre de travailler l’objectif 5 du Programme langage de l’école maternelle, Ecouter de l’écrit et comprendre.
Parenthèse : Une manière d’enseigner aggravant à coup sûr les écarts entre enfants consiste à leur demander pourquoi le cerf entend ce bruit. Seul un enfant (ou 2) va répondre et ça ne servira pas aux autres.
Mais comme le Programme 2021 est ambitieux, il veut que tous les enfants atteignent une certaine clarté cognitive, une connaissance intuitive de l’intérêt de cette langue nouvelle. Je renvoie le lecteur à l’entrée Objectif 6, Découvrir la fonction de l’écrit
qui montre bien qu’on a affaire à une découverte de la part des enfants. Ce n’est pas un savoir-faire. Ce n’est pas une compétence à atteindre. Ce n’est pas un savoir-être. Rien d’imitable. Rien d’évident. Rien qui se voit. C’est un début de connaissance : quand on sait écrire et lire, on peut mettre ce qu’on dit sur du papier pour que quelqu’un (ou soi-même plus tard) puisse le dire (en parlant ou dans sa tête). Et la découverte se complète quand les enfants peuvent assister à la lecture de l’écrit qu’ils ont vu écrire et qu’ils voient maintenant lire par le destinataire. Un miracle. En maternelle, il nous faut absolument admettre que cette découverte ne se fait que par l’expérience renouvelée du spectacle des adultes qui maîtrisent les utilisations de l’écrit en tant que trace de la langue 1 transformée. Il nous faut admettre que les enseignants ne demandent rien aux enfants. Il nous faut admettre qu’il n’y a pas d’évaluation papier-crayon possible pour cet objectif. Serviront d’évaluation:
– l’intérêt de chaque enfant pour cette activité  (rester concerné par les « spectacles » écriture et lecture, essayer de les mimer, demander au maître de le faire, etc),
– des comportements spontanés chez les enfants (demande à la maîtresse de lire quelque chose, demande à la maîtresse d’écrire quelque chose) .
Continuons dans l’ambition du Programme. Ce n’est pas seulement une nouvelle langue dont les enfants doivent découvrir l’existence, c’est aussi la possibilité de commencer à la parler (parler comme dans les livres puisqu’on est dans l’écrit) et découvrir les manières dont elle s’organise sur le papier (ou l’écran). On est dans l’objectif 7, Commencer à produire des écrits et en découvrir le fonctionnement.
Dans un premier temps (PS et première partie de la MS) les enfants assistent à la rédaction et à l’écriture et plus ils sont intéressés, plus on voit qu’ils font des découvertes. Ici aussi, c’est assister à une transformation L1 – L1bis qui provoque la découverte. Mais dès la seconde moitié de la MS, en écrivant en atelier avec quelques enfants, l’enseignant peut faire participer -même très peu c’est important- les enfants. On appelle ça la dictée à l’adulte. En vrai, les enfants vont essayer de dire de l’écrit, notamment en ralentissant le débit de la parole.
De plus, en commentant et en expliquant tout ce qu’elle trace, la maîtresse permet aux enfants de découvrir des particularités graphiques de l’écrit. En maternelle, on retient qu’en matière d’entrée dans le langage écrit, les apprentissages – découvertes des enfants se font essentiellement en assistant à des productions variées de vrais écrits adressés, et en essayant de le faire eux-mêmes.

Il nous reste le haut degré de l’ambition du Programme, les objectifs 8 et 9 :
découvrir le principe alphabétique et commencer à écrire.
L’enseignant écrit toujours devant les enfants mais cette fois, il va rendre transparent le code des petites unités qu’il utilise. Pour ça, à certains moments, il « bruite » les phonèmes de ce qu’il veut écrire et nomme la ou les lettres qu’il va tracer, puis les lit pour montrer à quel point « ça parle » ! C’est dire que là aussi ce sont des « spectacles » donnés par l’enseignant qui vont intéresser les enfants. Et là non plus, on ne leur demande rien. Ce n’est que plus tard qu’on leur proposera d’essayer dans ce qu’on appelle les essais d’écriture. En maternelle, les apprentissages les plus complexes relatifs à l’écrit ne sont jamais des productions équivalentes à celles des adultes ; ce sont les observations qu’ils ont faites de la transformation de ce qu’on entend en signes qu’on trace qui va leur donner envie d’essayer, comme ils peuvent, comme ils savent. Ils sont alors prêts pour le CP.

Ce qui est évident, depuis quelques années, est qu’on oublie l’aspect développemental des apprentissages à l’école maternelle: il faut « remplir » les enfants, de mots, de phonèmes, de phrases… bref, de langue. Mais non, un enfant est un sujet, c’est lui qui s’empare de son monde, il n’attend pas qu’on le lui donne.
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