A propos des habitudes de classe
Le groupe-classe est plus stable, les pleurs moins fréquentes.
M fait très attention à garder les déroulements des journées en fonction d’habitudes maintenant installées. M écrit:
Le matin, les enfants accrochent leur photo sur un tableau à scratch, je leur rappelle à chaque fois que cela signifie qu’ils sont à l’école.
Je me pose ensuite à un jeu avec les enfants pour discuter avec eux, je verbalise ce qu’ils sont en train de faire.
Pour l’appel, je propose des petits jeux de connaissance comme nous en avions parlé pour apprendre à se connaitre (deviner qui est l’enfant que je décris, se lever quand on entend son prénom), j’ai aussi affiché un jeu d’étiquettes prénom sur le tableau et j’écris devant eux un prénom en bruitant.
Avant une nouvelle activité je leur explique ce qu’on va faire, où on va aller et pourquoi on le fait ; on regarde aussi l’emploi du temps de la classe pour chercher ce qui va se passer après.
Tout est important dans ce déroulé: le temps rythmé par les mêmes actes et déplacements des enfants, la présence active de M qui accompagne TOUT par le langage, les explications du « pourquoi on fait quoi à l’école ». Cette dernière question est souvent appelée « enseignement explicite« . Oui et non.
Non parce que ce nom désigne une manière d’enseigner qui vient des Etats-unis, qui concernent des élèves plus âgés et qui correspond à une suite assez rigide d’étapes dans les séquences. Donc ce n’est pas pour la maternelle.
Oui parce que de nombreuses recherches ont montré qu’enseigner en expliquant aux enfants ce que ça va leur apporter et enseigner sans le leur dire est un choix décisif. C’est notamment en éducation prioritaire qu’il faut éclairer les enfants sur ce qu’ils font là, en classe. En France, c’est Jacques Fijalkow qui a théorisé une manière « explicative » d’aider les enfants pour la lecture (J. Fijalkow et J.Downing, Lire et raisonne, Privat, 1991). Il a appelé cette manière de faire la clarté cognitive.
J’utilise beaucoup cette expression en formation car elle est facile à saisir :
– clarté parce que même un enfant de 3 ans peut comprendre qu’on lui parle de lui et de ce qu’il apprend (par exemple en lui disant « ça va t’aider à apprendre à lire plus tard »),
– cognitive parce qu’on va évoquer ce qu’il fait de manière invisible (par exemple en lui disant « tu penses à l’histoire dans ta tête, c’est les grands qui savent faire ça, c’est bien »).
Et pour le maître, les habitudes à prendre dans le cadre d’ateliers sont les mêmes: expliquer aux enfants le but de l’activité pour eux-mêmes, avant l’atelier, expliquer les progrès qu’ils font eux-mêmes, pendant l’atelier ou les suites d’ateliers s’il y en a une, expliquer LE progrès obtenu pour eux-mêmes en fin d’atelier, et souvent en garder une trace (affichage, carnet de progrès) et/ou le rendre public (le maître explique aux enfants l’exploit de tel enfant, un enfant montre aux copains ce dont il est capable, etc).
Quand je dis ‘pour eux-mêmes’ c’est parce qu’on travaille alors sur l’image (et l’estime) que les enfants ont d’eux-mêmes. Ecoutez les différences entre des formules magistrales comme tu me fais un dessin? (qui renvoie au maître le bénéfice de l’activité) et hou je vais te demander quelque chose parce que je crois que tu sais le faire maintenant, essaie de dessiner ce que tu veux, je vais te regarder.
A propos d’entrée dans l’écrit
On est en PS de REP +. Il faut absolument être au clair avec le début de l’entrée dans l’écrit, cette année. Et ce n’est pas si simple.
Car dans ce domaine, j’ai l’habitude de dire que nous, adultes aphabétisés, sommes « infirmes » par rapport aux jeunes enfants. Parce que la lecture et l’écriture sont des activités AUTOMATISEES pour nous, nous avons tendance à montrer aux enfants à quel point les écrits sont des évidences. Alors que pour eux, rien n’est évident.
Par exemple, nombre d’enseignants écrit « GARAGE » au-dessus du coin garage et « CUISINE » au-dessus de la cuisine, comme si ces étiquetages allaient être un marche-pied pour la lecture des enfants. Pas du tout. Ils ne les regardent pas et quand ils les regardent ils ne peuvent rien en faire.
Cet exemple contient toutes nos « infirmités »: on pense que l’écrit se résume à un corpus de mots (et non!), on pense que pour l’enseigner il faut commencer par des correspondances terme à terme entre un objet (ou un lieu) et un mot c’est-à-dire une désignation référentielle (et non!), on pense qu’il suffit de dire aux enfants « regarde! » devant un mot illustré par un dessin pour qu’il comprenne qu’il faut lire (et non!), on pense que les jeunes enfants doivent commencer leur apprentissage en s’habituant aux lettres capitales, faciles à tracer et à reproduire et qu’ainsi ils écriront (et non!), on pense qu’entre 3 et 4 ans les enfants sont trop jeunes pour s’intéresser aux aspects invisibles des activités de lecture (ce que ça provoque chez le lecteur) et d’écriture (ce qu’auteur de l’écrit veut obtenir comme effet) parce que c’est trop abstrait (et non!), etc.
Je conseille une lecture attentive des pages 155-157 de mon livre Langage et école maternelle, Hatier, édition 2022. C’est l’introduction aux objectifs de l’écrit pour la maternelle. Seules les recherches en développement de l’enfant nous ont permis d’arriver à un tel progrès: nous comprenons maintenant ce qui fait la différence entre un enfant élevé en milieu favorisé et un enfant qui n’a pas eu cette chance. Dans le premier cas, l’enfant assiste, participe, subit, entend, voit, découvre… des USAGES DE L’ECRITURE et DE LA LECTURE, tout le temps, à la maison, en vacances, en famille, etc.
Et comme ces usages de l’écrit portent les aspects non visibles de ces activités, cet enfant « favorisé » va entrer de plein pied dans le domaine de l’écrit dont il aura eu très tôt les tenants et les aboutissants.
L’enfant de milieu dit « défavorisé » n’aura rien eu de ces expériences. Et c’est pour ça qu’hélas souvent, il va se raccrocher aux aspects visibles de l’écrit pour essayer de s’en sortir. Par exemple comme Fatou, une petite fille pétillante, qui parle le français très convenablement, et qui, en fin de CP dit « maintenant je sais lire, il faut que je fasse ma douche, et là, je me récite la leçon« . No comment.
Donc en PS, il faut commencer à lever le voile sur ces activités. En bas de la page 156 vous avez la liste des écrits dont vous allez tirer profit. Et c’est spécial maternelle. N’essayez pas d’inviter un auteur pour enfant, n’essayez pas d’emmener la classe dans une imprimerie, n’essayez pas de constituer des imagiers. Tout ça c’est la culture des adultes. Même si vous voulez bien faire, les enfants, eux, n’en feront rien.
Mes discussions avec la maîtresse de PS suivie cette année me laissent penser que là se joue un énorme malentendu, toujours dû à la confusion entre les objets écrits et les expériences de l’écriture-lecture.
M a démarré le carnet de progrès dans sa classe dès la rentrée. Parfait.
Mais quand je reçois la photo, surprise. Les cahiers s’appellent « Cahiers de brouillon ».
Et M me dit qu’elle a prévu de faire plus tard des ateliers pour que les enfants décorent les couvertures avec des papiers de couleurs déchirés et collés et qu’ensuite elle leur expliquera ce qu’est ce cahier et à quoi ça sert.
Je remercie très fort M de me décrire ainsi le détail d’une pratique pour bien faire, et qui passe à côté de l’objectif. Damned! Sauf qu’il n’est pas trop tard. je m’explique.
Le carnet de progrès est un cahier de liaison particulier puisqu’il est le réceptacle des exploits d’un enfant qu’on VA REGARDER ET LIRE ENSEMBLE l’enfant, les parents et le maître. On a donc une expérience d’écrit -en tant qu’activité symbolique– fabuleuse: si j’écris un exploit je pourrai le lire à maman et papa!!
Il faut donc absolument faire ce que j’appelle « un événement » de l’arrivée de ce cahier si précieux, puis prendre le temps de montrer aux enfants que vous écrivez chaque prénom sur la couverture, puis expliquer que vous allez mettre une photo et écrire ce qu’ils ont appris, puis leur dire que ça sera la surprise pour les papas et les mamans à Noël parce qu’ils viendront à l’école et on leur montrera. Enfin leur dire clairement que ces cahiers s’appellent cahiers de progrès. Quand vous faites un progrès ça veut dire que vous avez appris quelque chose et que vous devenez grand.
Ce n’est qu’ensuite qu’on peut commencer à le remplir.
Et voilà! Chaque fois que vous vous mettez à dire « oh! je vais mettre ça dans ton cahier de progrès » l’enfant saura qu’il vient de faire un exploit. Sinon il ne peut pas le savoir.
Voici un progrès en langage magnifique: On n’est qu’en Septembre et alors que CHE sait parler, en classe, il ne dit rien. Sauf ce matin là où il a dit BONJOUR avec un signe de la main. Et oui, bravo M! le langage n’arrive pas tout d’un coup, dans une langue articulée. Il faut des conditions et du temps…
On comprendra que pour moi, l’objectif « expériences de l’écrit » est si important en REP + que la décoration de la couverture est secondaire, c’est-à-dire qu’elle ne doit arriver qu’à la fin du travail, quand la classe est prête à commencer les invitations aux parents.
Merci M!!! On en reparlera.
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