Chapitre 7 – bilan

Bilan du suivi de la classe 2023-2024

Voici les grandes conclusions de cette année intense.
Les 7 points choisis ici sont évidemment insuffisants pour évoquer tout ce qui s’est passé pour les enfants et leur maîtresse. Mais nous espérons que des collègues pourront s’en inspirer, sans jamais baisser les bras pour aider ces enfants qui ont tant de besoins.
1- Les jeux symboliques, de vrais outils d’enseignement pour le langage
2- Le langage, cette année. Etapes et conditions.
3- La constitution d’une vraie classe où on s’entend bien.
4- La confiance totale de la maîtresse.
5- Les apprentissages préparant la PS, dont l’écrit.
6- La considération pour les parents, y compris dans l’évaluation.
7- Les partenariats: des aides et du recul.

1- Les jeux symboliques, de vrais outils d’enseignement pour le langage
Ce texte de démarrage fait un tour d’horizon sur l’importance des jeux symboliques durant cette année. Il correspond à une intervention faite à l’observatoire des Zones prioritaires (OZP).

Cliquez ici pour télécharger le complément de l’intervention à l’OZP le 25 Mai 2024. Texte rédigé par Mireille Brigaudiot, en collaboration avec Marie Pionchon.

2- Le langage, cette année. Etapes et conditions.
Au départ, les traces d’activités langagières présentes dans la classe étaient quelques mots. Rappelons que ces enfants sont au début de l’acquisition. Et rappelons à quel point c’est difficile d’essayer de s’exprimer dans une langue nouvelle, dans un groupe. Le challenge est énorme.
La relation aux adultes est décisive. Tous les conseils donnés pour les prises de parole de M sont importants: depuis le ton employé jusqu’au débit de parole. Il faut parler lentement, pas fort, souvent à hauteur d’enfant. Et Il faut TOUT TOUT expliquer. Dans cette classe beaucoup plus qu’ailleurs. Expliquer ce qui va se passer, où on va aller, ce qu’on va faire, pourquoi on va le faire, etc. Rien ne doit être considéré comme évident. Même l’évidence….
Les moments de regroupements sont de bons leviers. Car on est tous là et on est tous dans l’impossibilité de parler, ce qui met tout le monde à égalité. Les encouragements de M au moindre essai langagier sont au coeur du démarrage. « Oui!! J’ai entendu XX! Bravo XX, bravo les enfants!! vous allez bientôt parler!!« . Cette phrase scelle la confiance.
Les comptines, vrai faux langage puisque ce sont des textes sus par coeur, mettent les enfants à l’abri du risque de prise de parole. Il suffit, là, de faire les perroquets. Et c’est une aide considérable. Dans cette classe, de nombreux enfants ont commencé par répéter des fins d’énoncés de comptines. Puis le reste a suivi.
Les photos ont joué un rôle important parce qu’il y en a eu beaucoup dans cette classe et qu’elles ont permis aux enfants de faire des commentaires et les premiers récits: « ça c’est X, elle est au toboggan« , « ça c’est quand on est allés... ».
La fréquentation régulière des enfants a été également un facteur important. Un enfant souvent absent ou qui vient peu à l’école ne peut pas apprendre à parler dans de bonnes conditions, encore moins si le français n’est pas une langue familiale. Il faut donc l’expliquer tranquillement aux parents.
Enfin, n’oublions pas que M est une grande professionnelle qui sait observer, interpréter et intervenir. Tout est là. Comme le fait une bonne maman avec son enfant. En le comprenant, en l’accompagnant dans un essai, en le valorisant.
Peu à peu, les enfants ont été nombreux à parler lors des jeux symboliques, ou à annoncer quelque chose à M, ou à se mettre à chantonner. C’est très étonnant de voir ça: un enfant qui commence en prononçant une suite de syllabes drôles et des copains qui enchainent de la même façon.
Et puis il y a tout ce qu’ils racontent avec les livres.

Voici un moment magnifique.
ALI est en train de « lire » un livre sous le regard de M, quand KOS interpelle M. Il vient lui annoncer quelque chose! Et il dit « maman l’a dit dire j’ai plus de couches« . C’est donc une parole rapportée, et quelle parole!

vidéo 1735 à venir
Le contenu de cet énoncé est incroyable parce que l’enfant annonce à sa maîtresse (sa confidente) que sa maman a constaté qu’il venait de faire un pas de géant: il est passé de bébé à enfant!! Mais il y a plus car c’est une parole dont l’enfant a l’initiative et pour parler de lui à propos de quelque chose que l’interlocuteur ignore. On est linguistiquement dans une grande complexité.

3- La constitution d’une vraie classe où on s’entend bien.
On sait que les 2-3 ans sont des enfants jugés « difficiles » parce qu’ils veulent faire tout seuls et ne veulent pas en même temps (voir apprentissages). Par exemple, chacun veut le jouet que le copain a dans la main et quand il l’obtient enfin, il le jette. La constitution d’un groupe de vie où chacun se sent bien est donc très complexe.
Dans cette classe, M a beaucoup travaillé la connaissance des prénoms par chaque enfant de la classe, elle a beaucoup dit « c’est chacun son tour et tout le monde verra.. fera.. », elle a beaucoup varié les ateliers et les jeux pour que les enfants ne s’ennuient pas. Enfin elle a valorisé et survalorisé les nouveaux apprentissages, aussi petits soient-ils (aller tout seul à la sieste, grimper au toboggan, tracer un rond, etc). L’essentiel est que les enfants doivent entendre régulièrement un VERBE (xxxé = dessiner, parler, couper, verser, se cacher…) pour comprendre que c’est l’attente de l’école d’apprendre à XXé

On a vu dans le récit de cette année qu’une bascule s’est faite en février – mars. Après 6 mois de vie libre, et en vase clos, les choses se sont compliquées, les agressions se sont multipliées et il fallait changer quelque chose. C’est le moment où M a changé le déroulement quotidien pour instaurer 2 ateliers de suite chaque matin: ainsi, durant 5 à 10 minutes, chaque enfant a une tâche avec un apprentissage à la clé, assis sur une chaise devant du matériel et en relation privilégiée avec M. Je pense que ce « nouveau partage » de la maîtresse entre tous les enfants a beaucoup joué dans le sentiment d’appartenance à un groupe.
Du coup, peu à peu, dans la seconde partie de l’année, les enfants sont devenus très sereins et se sont intéressés les uns aux autres. Il reste à vérifier si une autre année peut se passer d’une manière analogue.

Voilà un exemple d’un beau moment qui a été filmé en juin.
La vidéo fait suite à une « commande » de MOH: il a demandé un gâteau d’anniversaire à la boulangère M, qui le lui prépare. Puis elle l’appelle pour lui dire que c’est prêt. L’enfant vient et fait toc toc (car il est chez la boulangère!). M lui donne son gâteau (pâte à modeler) en précisant qu’il faut attendre parce qu’il est chaud. La vidéo commence à ce moment là. MOH dit à Melissa que le gâteau est chaud et va chercher une manique. Mais elle n’est pas à sa place. Il est embêté (main devant la bouche) et il a une nouvelle idée: faire semblant de passer le gâteau sous l’eau pour le refroidir (comme on le fait avec un biberon trop chaud). Il peut alors le tendre à Mélissa en lui disant « touche Melissa, c’est froide« .
Tout est mimé et parlé et on voit le soin apporté par MOH à sa copine MEL pour ne pas qu’elle se brûle… Donc, autant dire que l’enfant MOH a déjà une certaine théorie de l’esprit puisqu’il sait que sa copine ne peut pas deviner que le gâteau est chaud, simplement en le voyant. Il se trouve que MOH fait partie des enfants les plus âgés de la classe, il a alors 3 ans et 4 mois. Cet âge, associé à de nombreux jeux symboliques, lui a permis d’acquérir une nouvelle façon de vivre au milieu des autres, en étant capable de prendre leur place.

M écrit: « J’ai assisté et j’ai compris la naissance d’une classe. C’est peut-être ce que voulait dire la maman de MEH lorsqu’elle m’a écrit « je suis très contente et fière de lui parce qu’il a grandi, je vous remercie infiniment de votre travail, vous avez donné la vie à la TPS. »
J’ai vu un groupe d’enfants devenir une classe dans laquelle on se rencontre, on s’accepte, on nomme les autres enfants, on coopère, on prend soin des autres, on a du plaisir à être ensemble... »

4- La confiance totale de la maîtresse.
Ce n’est pas un slogan, c’est une conviction.
Chaque enfant a toutes les potentialités nécessaires aux progrès.
Pour l’adulte qui guide un groupe, deux attitudes sont extrêmement difficiles parce que non « naturelles ». Je m’explique.
–> Le »naturel » est que lorsqu’on est seul responsable d’un groupe mieux vaut se protéger si on ne veut pas être noyé, noyé de paroles diverses et variées, noyé dans les diverses sollicitations, noyé dans les urgences parce qu’il y en a toujours… Or la manière la plus simple de se protéger est de ne retenir de la masse langagière et émotionnelle qu’on reçoit, que ce qui renvoie à notre statut d’enseignant. C’est ce que fait la très grande majorité des enseignants, sans le savoir: ils entendent et rebondissent sur les propos des enfants qui donnent des réponses pertinentes ou des avis intéressants. Sauf que, à forte dose, ce sont toujours les « bons » élèves qui se sentent valorisés et les autres se ressentent en retrait. J’appelle ça « aggraver les écarts, sans le vouloir« .
–> Une autre attitude est celle qui consiste en vrai à considérer chaque enfant et tous les enfants comme « caps ». A partir de là, l’observation fine faite par l’enseignant le conduit à remarquer ceux des enfants qui sont un peu ou beaucoup en retrait dans le groupe et dans la participation. J’ai appelé considérer certains enfants comme prioritaires le fait d’inverser la logique « naturelle » précédente. C’est donc difficile au départ. Il faut s’entraîner (c’est ça la formation!) pour proposer une activité à X enfant prioritaire plutôt qu’à Y qui sait déjà beaucoup de choses. Et le faire chaque jour. Et ne pas désespérer de constater des progrès très lents.

En REP+ cette question a encore plus d’importance qu’ailleurs.

5- Les apprentissages préparant la PS, dont l’écrit.
Il est impossible de lister tous les apprentissages.
Les apprentissages sociaux sont évidents, comme on l’a vu en 3.
Les apprentissages moteurs sont nombreux. M a vu des enfants en retrait en septembre qui n’hésitent pas à prendre de petits risques en fin d’année. Ils sont aussi plus adroits et s’intéressent aux exploits des copains.
Les apprentissages « scolaires » sont très impressionnants en cette fin d’année. Par exemple, en numération, quelques enfants montrent spontanément une quantité correspondante avec leurs doigts quand ils entendent évoquer un nombre (comme dans l’histoire « Et le petit dit » de Jean Maubille, édition Pastel).
Ici, SIR fait le geste pour son anniversaire:

Par ailleurs, tous les enfants dessinent des ronds sur commande, plusieurs dessinent un bonhomme ou un soleil.
Voilà le premier bonhomme d’AL


Et dans la mesure où les adultes de la classe savaient qu’ils pouvaient dessiner eux-mêmes régulièrement en disant ensuite ce qu’ils avaient représenté, les enfants y ont assisté. Ils « savent » donc qu’on peut « mettre sur du papier » une représentation de quelque chose. C’est une activité symbolique qui prépare à l’écrit. Et en juin, voici ce qu’un enfant a tracé puis il a dit « un marteau » en montrant le bloc vert de droite. Super bravo. Les activités abstraites symboliques sont en route.


Il y a aussi la fréquentation des livres par tous les enfants qui vont spontanément prendre « un livre « lire » dans les moments libres. La plupart fait plus que commenter les illustrations, ils redonnent des « blocs » des lectures entendues. Plusieurs enfants suivent du doigt les lignes écrites en faisant ces pseudo-lectures. C’est dire l’effet des très nombreuses lectures de M.
Enfin de nombreux enfants font des essais d’écriture avec des « dents de scie » imitant l’écriture cursive de la maîtresse.

Tous ces apprentissages sont ceux qu’on a l’habitude de constater en fin de PS.
Donc oui, la TPS en REP+ est très utile: elle permet aux enfants, en quelque sorte, de démarrer en PS comme s’ils ne venaient pas d’un milieu particulièrement défavorisé. Et on sait bien que sinon, les risques d’enclencher l’infernal échec scolaire sont grands.

6- La considération pour les parents, y compris dans l’évaluation.
La question des relations de l’école aux parents est très souvent traitée comme un partenariat, entre autres. Et non! En REP plus qu’ailleurs, les parents sont les premiers (par opposition à l’enseignant qui est second) à encourager leur enfant pour qu’il entre dans les apprentissages proposés à l’école et qu’il progresse. Un enfant a toujours besoin de ce « feu vert » pour OSER apprendre en milieu scolaire. Car oui, c’est un saut essentiellement culturel, qui nécessite de la force, parfois du courage. Par exemple, un des enfants de cette classe a changé de comportement vers Noël, devenant particulièrement agressif avec les enfants et refusant de s’intéresser aux activités. La maîtresse ne connaît que la maman, et lorsqu’elle lui demande si quelque chose gène en ce moment l’enfant, elle lui explique que le papa trouve qu’à l’école, les objets ne sont pas bien nettoyés et que les risques d’attraper des maladies sont grands. L’enseignante rassure, explique, prend des exemples et va obtenir la visite du papa pour voir le carnet de progrès de son enfant. A partir de ce jour là, la confiance est rétablie, l’enfant se remet au travail dans la joie. Même si, quelques jours plus tard, il jette un objet en disant que c’est sale. Il faut souvent beaucoup de temps pour enjamber les obstacles
Le travail consiste donc pour l’enseignant à considérer que la confiance parentale est si importante qu’elle passe avant tout le reste. Il faut montrer aux parents que l’école ne veut que du bien à leur enfant. Dans cette optique, M dit que « le carnet de progrès l’a beaucoup aidée, en rendant visible et lisible l’école aux familles et aux enfants« .

7- Les partenariats: des aides et du recul.
Les partenaires de l’enseignante et de l’ATSEM ont été: les collègues dont le directeur, les membres du RASED, l’inspectrice, les services municipaux, la bibliothèque, les services de soin chargés du suivi de certains enfants, la PMI, les collègues du Réseau d’Education Prioritaire, etc.
Bien sûr il y a tout l’aspect matériel des différentes aides. Et ça compte.
Mais l’aspect partenarial remplit 2 fonctions décisives: d’une part, il tranquillise l’enseignant dans les moments de fatigue ou de désespoir, d’autre part, il met à distance les aspects trop lourds de ce qui est à vivre au quotidien. Par exemple, quand M évoque avec moi sa difficulté à garder une fillette sur ses genoux alors qu’elle n’a pas été lavée depuis des semaines. Ce n’est pas du tout une question de tolérance de la part de M ; c’est son souci de se sentir impuissante mais en en parlant à une collègue, elle voit que cette enfant n’est -hélas- pas la seule dans ce cas. Par exemple, quand elle mentionne un nouvel enfant dans sa liste de priorités alors que je lui montre qu’il ne s’agit que d’un décalage dans le temps.
La complexité de la situation vient du nombre de partenaires. Mais il est clair que la maîtresse est la seule à tenir tous les aspects des problèmes et à assurer la cohérence des solutions. Par exemple, alors qu’une des partenaires invoque le secret professionnel auquel elle est tenue, M lui rétorque: « mais moi aussi, c’est pour ça qu’on doit travailler ensemble« .