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Plan maternelle
A propos du Plan maternelle, et pour éviter l’apprentissage de la lecture en maternelle, j’ai réagi sur Le Café pédagogique:
https://www.cafepedagogique.net/2023/01/30/mireille-brigaudiot-sur-le-plan-maternelle-et-langage/
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En réaction à un discours ambiant- 20 septembre 2023
Aujourd’hui, Claude Lelièvre se fait porte-parole des enseignants dans l’expresso du Café pédagogique[1] : les enseignants se sentent méprisés, non considérés dans leur professionnalisme et dans leur expertise.
Nous ressentons la même chose en lisant la note d’enjeux intitulée « Ecole : où concentrer nos efforts ? » mise en ligne par l’Institut Montaigne.

Pour l’auteur de cette note, si l’école va mal, il faut chercher du côté des enseignants qui l’empêchent de s’améliorer. Ainsi, lorsque l’école ne remplit pas sa mission de compensation des difficultés de certains élèves, une des principales causes réside dans les pratiques des enseignants. Citation :
« Aujourd’hui, l’idéologie … dicte le remplacement de tous les processus d’enseignement traditionnel qui ont fait leur preuve dans le passé et dans d’autres pays, par des ‘processus inductifs tâtonnés’ à partir de l’expérience des élèves -le fameux « pédagogisme ». Ce pédagogisme semble aujourd’hui à l’origine de la grande détresse de l’apprentissage des élèves et des enseignants eux-mêmes. ».
Tout est faux dans ce paragraphe. Tout d’abord, rappelons qu’en 1960, 34% des élèves de CP ont redoublé[2] : de quel « pédagogisme » ont-ils été victimes ? Ce chiffre, 34%, qui nous semble tellement inacceptable aujourd’hui, prouve que l’« enseignement traditionnel » s’est toujours montré incapable de lutter contre l’échec scolaire et de remédier aux inégalités, sauf à brandir telle ou telle « exception consolante », pour reprendre la belle formule de Ferdinand Brunot reprise par Jean-Paul Delahaye[3]. Alors oui, il est bien question de biais idéologique, dans la note d’enjeux produite par l’Institut Montaigne : accuser des « processus inductifs tâtonnés » (?), vouloir réhabiliter un « enseignement traditionnel » (des années 60 ? des années 30 ? jusqu’où faut-il remonter ?), c’est un marqueur idéologique fort du conservatisme social.
L’exemple choisi est celui de l’enseignement du code au C.P. (car celui-ci résume à lui seul le contenu des « fondamentaux » si chers à nos décideurs). On découvre dans ce domaine qu’alors qu’il s’agit d’un « enseignement très technique et non intuitif » ( ??), les enseignants pratiquent une « pédagogie constructiviste… qui contribue à redoubler les difficultés des élèves les plus faibles ». Voilà. Les enseignants laissent tâtonner les élèves au nom d’une « pédagogie constructiviste » dont on serait bien en peine de trouver des traces dans les programmes et dans les classes.

Si on tirait au sort, aujourd’hui, une centaine de parents d’enfants de fin CP en France et qu’on leur demande s’ils ont eu l’impression que l’enseignement de la lecture donné à leurs enfants leur a semblé « structuré » ou « tâtonnant » au fil des « expérimentations » faites par les élèves, tous répondraient que leurs enfants ont eu un enseignement « structuré ». Car tous les enfants de CP ont des manuels, des progressions, des répétitions à faire chaque jour, des exercices, des mots à copier, des gammes à reproduire, etc.

Non, le problème de l’échec des enfants les plus pauvres ne réside pas dans cette caricature. Il est culturel, d’où sa grande complexité. La première maîtrise de l’écrit (qui inclut la lecture et l’écriture) recouvre de nombreuses découvertes abstraites (les valeurs des signes écrits du français par exemple), des familiarisations avec les usages sociaux de l’écrit (quand on écrit à quelqu’un pour communiquer avec lui ou quand on lit l’écrit de quelqu’un), des codes graphiques extrêmement variés qui rendent possible la compréhension d’un message, des régularités orthographiques très nombreuses, etc. Tous ces apprentissages ne dépendent pas d’un enseignement simpliste mais de longues pratiques de l’écrit vivantes, accompagnées, expliquées et qui sont suivies d’essais par les enfants (voilà les résolutions de problèmes). Au bout du compte, ils constituent un acquis culturel.
Donc oui, les enseignants sont sur le bon chemin s’ils pensent que c’est lorsque « les enfants résolvent eux-mêmes des problèmes qu’ils apprennent le mieux ». Cette formule résume une des étapes d’apprentissages complexe. A quoi sert sa caricature ? Les enseignants n’ont pas besoin d’un tel procès, ils veulent qu’on les laisse travailler, et dans la durée : par exemple, pour l’écrit, ce sont les 6 années, de la PS au CE2, qui sont nécessaires afin que les élèves acquièrent les compétences nécessaires pour continuer à bien apprendre. Les enseignants n’ont que faire des évaluations institutionnelles permanentes, ils en ont assez des injonctions au jour le jour, stop. Ils veulent travailler. C’est de respect qu’ils ont besoin.

Solange Bornaz et Mireille Brigaudiot, anciennes formatrices IUFM de Versailles


[1] https://www.cafepedagogique.net/2023/09/20/claude-lelievre-halte-a-la-morgue-des-forces-de-lecrit/?utm_campaign=Lexpresso_20-09-2023_1&utm_medium=email&utm_source=Expresso
[2] Blot D., Les redoublements dans l’enseignement primaire 1960 à 1966, en ligne sur Persée.
[3] Delahaye J.P., Exception consolante. Un grain de pauvre dans la machine, Editions de la Librairie du labyrinthe, 2021
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