Quelques repères sur ce qu’on sait de ce que les enfants prennent et apprennent de l’écrit et des écrits.
Une chose est sûre: quelle soit leur langue ou le pays dans lequel ils vivent, les enfants font de leur premier écrit un message d’amour, à maman, à papa, à ma soeur, et ma maîtresse! De la GS au CE1, tous les enseignants reçoivent ces précieux envois. Voila ce que dit Salima à sa nouvelle maîtresse de CE1 qui s’appelle Mary-James (ouille c’est dur à écrire).
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De 2 à 3 ans
On a l’habitude de dire que les tout petits ont une relation d’apprivoisement avec les livres: en effet, ils les manipulent, même dans tous les sens, parfois déchirent les pages, parfois les promènent dans la poussette de la classe, etc. Mais ce n’est pas n’importe quel objet. Ce qui nous intéresse est: que construisent-ils qui n’appartient qu’aux livres?
Beaucoup.
Il y a d’abord l’intérêt que montrent les enfants pour cet autre enfant (ou cet animal) dont ils entendent parler par l’intermédiaire d’une théâtralisation de l’enseignant. Les personnages des livres mangent, pleurent, s’habillent, etc en vivant ces « scripts » de leur quotidienne. On le sait, on parle d’identification. A minima il y a une rencontre mentale pour les enfants qui entendent des histoires de personnages qui leur sont proches. Et ils sont évidemment aidés par les illustrations. Mais la représentation « icônique » (sur le papier et à l’aide de stéréotypes du dessin) n’est pas encore à leur portée. Pour l’instant, ce qui est sur la page est « vrai ». C’est ce qui conduit Madeleine à consoler un personnage malheureux en posant son doudou sur la page ou qui conduit Guillaume à dire « i va pas me manger » en touchant un dessin de tigre. Le choix des livres est donc très délicat: ils doivent renvoyer à de petites aventures dans lesquelles les enfants peuvent s’identifier mais sans qu’ils ne ressentent de crainte.
Autre apport des livres cette année: l’existence des pages. Car le livre est le seul objet de la classe qui présente cette particularité de feuillets attachés et rassemblés dans une couverture plus rigide. Mais si pour nous c’est une évidence que chaque page est un moment de la durée d’une aventure, ce n’est pas du tout le cas pour les tout petits. Entre 2 et 3 ans, on sait que les enfants n’ont pas de notion de la durée. Ils voient donc sur chaque page ce qu’ils connaissent déjà et reconnaissent. D’où l’intérêt de re-raconter maintes fois les mêmes livres et même d’ajouter dans les jouets de la classe des figurines identiques aux personnages connus: Petit Ours Brun, Tchoupi…
Cette reconnaissance de quelque chose de connu, sur chaque page, va souvent conduire les enfants à faire ce qu’ils adorent sur cette période: catégoriser en X /pas X. On est dans l’organisation lexicale de notions qu’ils vont peu à peu construire. Par exemple, avec un livre dans lequel un enfant pleure, une activité très intéressante pour un petit, est quand il dit « là ya le bébé » / « là ya pas le bébé »/ là ya le bébé« , etc ou bien « là i pleure/là i pleure pas« … Cette alternance attachée à un lieu (« là« , c’est la page où on peut pointer l’objet) n’a rien à voir avec du temps qui passe et pourtant elle permet aux enfants de se représenter un certain temps qui dure parce qu’il y a beaucoup de pages. C’est un début. Plus tard ils comprendront que c’est le même enfant qui est représenté sur chaque page…
Enfin, et c’est peut-être ce qui va être le plus important, ils entendent du langage quand un adulte leur lit un livre. Si les livres lus sont adaptés à l’âge des enfants, les enfants vont s’en saisir pour se construire une sorte de culture littéraire de petit enfant. Car le contenu des livres leur parvient comme quelque chose de dit d’une manière originale (les mots, la mélodie, la prosodie sont très différentes dans l’oral et dans l’écrit). C’est du langage écrit, bien qu’il soit oralisé (dit) par un adulte alphabétisé.
Voici une vidéo incroyable. Il s’agit de la petite Olivia qui « mimait l’oral » comme on l’a vue dans le chapitre 1 alors qu’elle avait 1 an 4 mois. Elle a maintenant 2 ans 2 mois. C’est dire sa grande culture littéraire de plus d’une année. On la voit ici « se raconter » mille choses, en suivant du doigt de l’écrit. Elle est véritablement en « mime » de production de langage écrit alors qu’elle a choisi un livre d’adulte, très épais, pratiquement sans illustration et qu’elle tient à l’envers. Et elle fait comme si elle lisait!
En visionnant jusqu’au bout, on découvre que c’est sa maman qui filme quand elle finit son livre en disant « y’a plus rien« . Puis, en regardant sa mère elle dit « une autre histoire! » et s’en va en courant, s’apprêtant à refaire son activité. On comprend, à ce moment là, qu’elle « lisait » une histoire à sa mère, inversant les rôles attribués jusque là.
Bravo Olivia! tu continues de nous étonner.
De 3 ans à 4 ans 1/2
Dispositif O-I-E
Pour apprivoiser les tout petits à l’écrit, on a inventé un dispositif spécifique avec une maîtresse (merci Henriette !). On l’a appelé Oral – Images – Ecrit.
Le but est de faire comprendre à ces très jeunes enfants que l’écrit « parle » : objectif 6 et qu’il peut même raconter. La vidéo (pardon pour la qualité de l’image, c’est un vieux document) montre les premières fois de chacune des 6 étapes du travail :
1- Oral 1.
C’est la théâtralisation d’une histoire empruntée (l’Arbre roux, Compagnie des 3 chardons). La maîtresse a fabriqué un décor et des marottes qui sont des photocopies des personnages que les enfants trouveront plus tard dans un livre. Pour l’instant, elle dit seulement qu’elle va faire du théâtre. Elle fait parler les personnages en langage ordinaire, à la première personne, pour que les enfants comprennent.
2- Oral 2
La séquence précédente ayant eu lieu plusieurs fois, cette fois, décor et marottes sont laissées en libre accès dans un endroit de la classe. La maîtresse ne fait qu’observer. Elle n’intervient que lorsque la narration n’est pas respectée : « ah non, le corbeau il attaque pas l’arbre ! ». Les enfants reprennent des formules dites par les personnages : « la belette ! ».
3- Images 1
La maîtresse appelle 2 enfants et se contente de tourner les pages du livre qui n’a que des images. Les enfants et elle sont en attention conjointe. Ils reconnaissent les personnages tout seuls. Et tout seuls ils vont chercher les marottes en disant « c’est le même ».
4- Images 2
Même moment avec 2 autres enfants. On les voit ici passer tout seul au récit à la troisième personne : « i casse sa hache », « les oiseaux i z’ont pas peur ». C’est du récit oral qu’ils n’ont jamais entendu, induit par le regard sur des images.
5- Ecrit 1
La maîtresse annonce aux enfants qu’elle va lire un livre et elle précise qu’elle ne dit pas de quelle histoire il s’agit. Elle a, elle-même, fabriqué ce livre qui ne contient que du texte narratif avec toutes les marques de l’écrit (il était une fois, 3° personne, passé simple/imparfait). Les enfants vont mettre un certain à reconnaître l’histoire. Mais ils y arrivent. C’est la première fois qu’ils entendent de l’énonciation écrite.
6- Ecrit 2
La maîtresse propose aux enfants de « lire » eux-mêmes et certains acceptent. On voit Alice mimer la lecture (même avec le livre à l’envers) en se racontant l’histoire. Elle dit même que c’était bien ! Le deuxième enfant est mal à l’aise, comme s’il savait qu’il ne savait pas lire. Cependant, il tourne une page et se frappe la tête : il mime l’histoire.
L’objectif 6 est atteint : dans ce livre qui n’a pas d’images, l’écrit raconte l’histoire de l’arbre.
Cette vidéo est très très vieille, il faut baisser le son et les images sont mauvaises.
De 4 ans 1/2 à 5 ans 1/2
ccc