Suivi de la classe au 17 septembre 2023
Voici le premier chapitre du feuilleton, à partir des remarques des 15 premiers jours d’école.
La maîtresse a mené des rentrées par petits groupes sur des durées variables selon les enfants. Aujourd’hui, 17 septembre, sur les 20 enfants inscrits, la présence maximale est de 14. A la fin du mois ils seront tous là le matin. Pour l’après-midi, seuls 6 enfants restent à l’école et font donc la sieste. La maîtresse se pose la question d’encourager les familles à scolariser leurs enfants l’après-midi, plus tard dans l’année.
La maitresse sera appelée M, les ATSEM seront appelées AT, les enfants seront mentionnés avec des lettres de leurs prénoms et les parents avec la lettre P.
Voilà les enfants, ils ont tous 2 ans révolus, mais certains portent encore des couches.
1 | AL | G | |
2 | MI | F | 02/2021 |
3 | EM | F | 01/2021 |
4 | KLO | G | 06/2021 |
5 | KA | G | 08/2021 |
6 | MOB | G | 07/2021 |
7 | MOH | G | 02/2021 |
8 | SI | F | 05/2021 |
9 | LI | F | 07/2021 |
10 | ANA | F | 07/2021 |
11 | RA | G | 08/2021 |
12 | NA | F | 08/2021 |
13 | ME | F | 03/2021 |
14 | YA | G | 01/2021 |
15 | YO | G | 03/2021 |
16 | KO | G | 06/2021 |
17 | KAT | F | 07/2021 |
18 | AD | G | 02/2021 |
19 | MAD | G | 06/2021 |
20 | HA | G | 03/2021 |
– Les styles d’acquisition de l’oral autour de 2 ans
Ma première remarque vient des constats de M au sujet de ses difficultés depuis la rentrée. Elle est épuisée par les mouvements, les cris, les enfants qui s’agrippent à elle, etc. C’est sûr, la TPS est la section la plus fatigante de l’école maternelle. Mais il faut se dire que les évolutions vont être rapides.
A l’arrivée, les enfants sont totalement dépendants de tout : leur désarroi d’avoir perdu leur repère environnemental et leurs repères familiaux, leur impossibilité d’accéder aux énoncés qu’ils entendent (en français et prononcés vite par des inconnus), leur inquiétude à ressentir la durée de ces changements, etc. Et bien sûr, ils n’ont pas la possibilité de DIRE que ça ne va pas pour eux. Parce qu’ils ne parlent pas encore.
Dans ce registre, il faut savoir que les enfants sont très différents entre eux. Certains vont « baragouiner » très tôt et longtemps en mettant les adultes dans l’inconfort (chacun son tour !), d’autres vont rester mutiques et articuler tard (ça peut être après 3 ans), d’autres vont s’exprimer avec les moyens du bord (cris, coups, griffes) avant de commencer à imiter des morceaux de langue entendus, et enfin d’autres vont commencer par imiter la « musique de la langue parlée ». C’est très joli. C’est le cas d’Olivia dont voici 2 moments, à 16 et 17 mois. On a l’impression d’entendre une maman qui commente un album…
– L’attention conjointe
Cette proposition vient de cette photo envoyée par M.
On y voit une adulte avec 6 enfants. Ces 7 regards sont très intéressants. Car on le sait, une des premières conquêtes du bébé qui enthousiasme ses parents c’est SON regard dans LEUR regard (voir carnet de Charles 4 mois).
Ici, 1 enfant regarde dans la classe, 3 regardent ce qu’ils font eux-mêmes avec les gobelets et le sable, 1 enfant (la fillette sur les genoux de l’adulte) semble regarder ce que fait l’enfant qui est en face d’elle et la 6ème enfant regarde cette petite fille qui semble faire l’objet d’une protection par l’adulte. On le comprend, ça ne fait que quelques jours que les enfants sont là.
Mais je m’intéresse aussi à ce que fait cette adulte, en passant sa tête par-dessus l’épaule de la fillette pour accrocher son regard. Bravo. Voilà une des stratégies pour mobiliser l’attention conjointe entre un adulte et un enfant. Car, après avoir regardé la fillette, elle va sans doute regarder un objet ou une action et le ou la pointer en commentant. Ainsi la situation d’attention conjointe telle que l’a caractérisée Jérôme Bruner est une « routine générative » en ce sens qu’elle permet à un enfant très tôt (à partir de 9 mois souvent) de faire référence à un objet, sans langage articulé, mais grâce au pilotage de son regard par le regard d’autrui. Plus tard, cette capacité deviendra la désignation.
– Une conquête précurseur de l’écrit
L’observation suivante est une petite scène décrite ainsi par M: des enfants sont avec la pâte à modeler et ils ont des tampons à leur disposition. M utilise elle-même un tampon et montre l’empreinte à l’enfant MOH. Celui-ci est très intéressé, il regarde la trace et dit « gné! » que M interprète par « araignée ». Car, en effet, on peut paraphraser sa production à partir de différentes interprétations: « c’est une toile d’araignée », « ça ressemble à l’homme araignée », « j’ai déjà vu ça et à ce moment-là j’ai entendu araignée », etc.
L’empreinte ressemble effectivement à une toile d’araignée. Cet évènement mérite qu’on s’y arrête.
Ou bien M a surinterprété la verbalisation de MOH et l’histoire s’arrête là. Je rappelle qu’une interprétation cognitive (voir mot-clé interprétation) « surévaluée » ne peut pas faire de mal à un enfant.
Ou bien l’enfant a effectivement dit « araignée » et c’est plus qu’un exploit: il n’a que 2 ans et quelques mois et pour pouvoir dire ça, il faut qu’il ait déjà vu un dessin (voir mon livre, pages 109-112) de toile d’araignée (il s’agit de ce qu’on appelle un stéréotype), qu’il mobilise un souvenir de ce dessin à la vue de l’empreinte, qu’il retrouve et prononce le mot entendu dans ce souvenir, et qu’il le dise là, devant cette empreinte et devant M. C’est toute la définition du symbolisme du dessin qu’on retrouve dans ce comportement. Je cite René Baldy (2008):
« Les premières formes de pensée se manifestent dans la manipulation de symboles individuels (par exemple dans le jeu symbolique), puis se transforment profondément avec l’apprentissage des systèmes de signes collectifs (la culture)… Le dessin peut être considéré comme une manifestation de la fonction symbolique à la fois proche du jeu symbolique dont il partage le caractère individuel, et du langage dont il partage la dimension culturelle des signifiants graphiques…«
Ici l’enfant MOH ne dessine pas mais il nomme une représentation dessinée, un « symbole social » de toile d’araignée, c’est génial. Un grand bravo à la maîtresse qui a eu l’idée de donner des tampons à ces petits et surtout, qu’elle ne se prive pas de dessiner elle-même devant les enfants et de leur donner des outils qui laissent des traces. Très vite elle verra l’intérêt de ces moments pour les enfants. J’y reviendrai plus tard, c’est décisif dans les premières années de maternelle. C’est parti pour une grande aventure.
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