Suivi de la classe au 19 octobre 2023
Le groupe d’enfants est au complet : ils sont souvent 17 présents.
M trouve que ça va beaucoup mieux qu’en septembre. Les habitudes sont prises et les regroupements se déroulent normalement. M trouve cependant que les enfants transportent beaucoup les objets dans la classe et que ça met du bazar. C’est vrai qu’on dit parfois que les 2 ans sont « déménageurs ». On peut penser que cette envie de prendre pour mettre ailleurs fait partie du désir d’être agent : les enfants de cet âge adorent pouvoir provoquer des effets, tout seuls : ils remplissent, ils vident, et recommencent. L’adulte est alors partagé entre l’interdiction alors que les enfants sont si actifs et le laisser-faire qui conduit à avoir une classe champ de bataille. C’est typique d’une période d’autonomisation des enfants.
Autonomisation et langage
Je renvoie à un ouvrage collectif (Préneron dir 2012) portant sur cette question.
Observation en famille : alors que sa mère commence à lui enfiler son pyjama, un enfant de 2 ans 3 mois s’écrie « c’est moi ! c’est moi ! ». Exemple classique de cet âge particulier où les enfants sont dans le vouloir faire seuls ce que faisaient les adultes pour eux juste avant. Lorsque les enseignants considèrent qu’il faut répondre à cette demande, parfois ce n’est pas facile car il arrive aussi à ces mêmes enfants de réclamer de l’aide pour obtenir ou faire une action. Ce double désir qui conduit parfois à des crises de colère est appelé « âge des terrible deux » par les anglo-saxons (2 comme 2 ans et comme « je veux ET Je veux pas »). Les adultes sont alors dans la tempête car ils vivent, pour la première fois avec ces enfants, les douleurs de l’intersubjectivité. « Sous le terme d’intersubjectivité, on désigne -tout simplement !- le vécu profond qui nous fait ressentir que soi et l’autre, ça fait deux » (Golse 2012). Les différents styles parentaux de réponse montrent que dans les moments d’essais pour faire tout seuls, il y a toujours un fort engagement des adultes pour protéger l’enfant et en même temps l’encourager à aller plus loin. Par exemple quand Maxime, 3 ans, prend du shampoing tout seul pour la première fois :
Maxime – (essaie de dévisser la bouteille) j’arrive pas
Mère – essaie !
Maximilien – (re-essaie sans succès) non
Mère – attends (elle dévisse le bouchon)
Maxime – (penche la bouteille)
Mère – un tout petit peu !
Maxime – (verse)…
Mère – voilà, redresse, redresse, ah !! ça fait beaucoup
On voit à quel point le langage de l’adulte accompagne l’essai de l’enfant qui éprouve de la fierté de faire seul et, en même temps, la crainte de rater. Ce qui est sûr est que dans ces moments se joue l’image de soi d’un enfant, particulièrement soumis au regard évaluateur de l’adulte.
Remarque : les moments fréquents d’interactions adulte-enfant mettant l’autonomisation en jeu sont majoritairement décrits comme étant les soins corporels. Ainsi, quand c’est l’ATSEM qui s’occupe du passage aux toilettes, des couches, du déshabillage-habillage, du rangement des doudous et tétine, c’est elle et son langage qui auront des incidences sur l’image de soi des enfants. Autant le savoir pour envisager des formations communes enseignant – ATSEM.
Dernière remarque : on note dans les descriptions des dialogues enseignant-enfants dans de tels moments, une abondance de marqueurs du temps : « alors ça tu l’as jamais fait », « mais bientôt vous saurez tous le faire », « hou c’est la première fois que XX trouve son prénom », etc. C’est bon pour les enfants de cet âge car tout en se ressentant dépendants des adultes, ils « savent » qu’ils grandissent et apprennent.
La classe de M
A partir des fiches de renseignements retournées par les familles, voici la classe :
– langues : 4 enfants n’ont que le français à la maison, 1 enfant n’a qu’une seule langue à la maison et qui n’est pas le français (créole de Guyane), 11 enfants ont 2 langues à la maison (9 avec français + arabe, 1 avec français +créole, 1 avec français + albanais).
– fratrie : 15 enfants ont un ou deux frères-sœurs aînés, 2 enfants ont un nouveau petit frère né pendant l’été.
– enfants prioritaires pour l’instant : les 2 enfants qui ont un bébé à la maison, semblent mal, pleurent ou crient, sont en révolte. Et il y a MI, qui a 2 ans 8 mois, et a été dépisté par la crèche, puis par le psychologue scolaire comme potentiellement avec troubles autistiques. Il bénéficie d’une AESH et attend la notification de la MDPH. Pour l’instant, il ne parle pas et ses troubles sont en rapport avec la bouche: il met beaucoup de choses à la bouche en classe, il refuse toute nourriture à la cantine. Evènement récemment : M lui ayant donné des biscuits gardés dans un placard, MI va devant le placard et attend. M comprend qu’il veut manger et lui donne un gâteau. MI le jette en protestant et il accepte un autre gâteau d’un paquet différent. On peut dire que l’enfant veut et rejette ce qu’il ne veut pas, c’est bien. Par ailleurs, il a inventé un jeu qui l’occupe beaucoup, en faisant descendre un petit objet à l’intérieur d’un rouleau de carton et en recommençant. On a là un jeu symbolique avec alternance de présence -absence dont on sait l’importance. Il faut préserver ces moments là pour lui, cacher et retrouver avec lui, et surtout surtout, lui adresser beaucoup de Bravo!!! Il a besoin de ces valorisations pour se construire comme sujet.
Aménagement salle de classe
Voir Enseignement.
L’essentiel pour ce niveau de classe est qu’en début d’année, il faut que les enfants puissent toujours voir un adulte, quel que soit l’endroit de la classe où ils sont. Ainsi, ils se sentent protégés et surveillés.
Journée-type à l’école
Peu à peu, les habitudes de la classe se sont installées. Voilà où on en est.
8h30-8h45 Arrivée des familles et des enfants
8h45 Fermeture de la porte de la classe
AT emmène les enfants qui acceptent de s’asseoir sur les toilettes au local dédié, puis les ramène. Pendant ce temps, M et les autres enfants rangent la classe (c’est aussi du tri!!).
8h50-9h Premier regroupement sur les bancs. Il ne dure que 10 minutes pour l’instant, c’est suffisant pour l’attention des enfants. On se dit bonjour et on chante des comptines et jeux de doigts. La mascotte dit bonjour aussi (voir Spécificités de l’enseignement).
9h-9h30 Motricité
9h30- 9h40 Second regroupement avec présentation d’un livre.
Ces 2 regroupements très courts sont les bienvenus en TPS et PS début d’année.
9h40-10h M « ouvre » 3 activités aux tables avec matériel au centre. Cela veut dire qu’au moins 2 adultes sont présents (M et AT et/ou ARSH) pour ces ateliers.
Pour l’instant, les ateliers sont de 3 natures : constructions (gros légos par ex), transvasement (avec sable pour l’instant) et motricité fine (tracés sur feuille, enfilage, petite manipulation). Les interactions langagières entre un enfant et M sont ici très précieuses : l’adulte commente ce que fait l’enfant, dit qu’elle va faire comme lui, fait semblant de ne pas y arriver et continue de commenter… comme un jeu. Je rappelle la belle formule de Laurent Danon-Boileau :
« Ce qui permet d’avoir un échange avec un enfant, c’est le plaisir qu’on a, à organiser un affect autour d’une représentation. Ce n’est pas la nécessité d’un échange d’informations ».
L’attention conjointe, avec langage commentaire, est la meilleure des situations durant lesquelles les participants « pensent » à la même chose. Et en jouant, c’est rigolo.
9h40 On remet les chaussures qu’on avait enlevées en arrivant. Pour l’instant, les enfants apprennent aussi à s’habiller, par 4 avec AT dans le couloir.
10h Après l’annonce de M (« c’est l’heure d’aller dans la cour, vous savez qu’on y va en marchant, on ne court pas.. » vocabulaire !) les enfants vont partir pour un grand voyage car il y a un grand couloir puis une grande descente en plan incliné vers la cour. C’est pourquoi M utilise le système de la corde tenue par les enfants, ce qui permet un déplacement calme avec tout le monde au même rythme.
10h30 On rentre en classe avec le même procédé.
10h45 On boit un verre d’eau et nouveau passage aux toilettes.
11h Nouvelle ouverture des ateliers.
11h25 Départ à la cantine pour 4 enfants, les autres continuent leur occupation jusqu’à l’arrivée des parents
Après-midi : Entre 8 et 11 enfants sont au dortoir, lever échelonné puis jeux libres.
Mais en ce mois d’octobre, M note dans ses remarques que « les enfants se tapent, se tirent les cheveux, se mordent, se poussent, chaque jour, et les interventions des adultes ne changent pas leurs comportements pour l’instant« .
On a là ce que j’appelle un point de vigilance: compte tenu de la caractéristique de la classe (première scolarité), de l’âge des enfants (le plus âgé a maintenant 2 ans 9 mois et les plus jeunes ont 2 ans 2 mois), de leurs milieux de vie (défavorisés et avec des déracinements), et de la connaissance des enfants qu’a déjà la maîtresse, il faut agir volontairement et régulièrement, faute de quoi, la situation peut s’aggraver. Voir ce que conseillent les formateurs dans la rubrique Vigilances.
Apprentissages
–> vocabulaire
Des mots nouveaux pour eux sont entendus par les enfants mais comme ils sont spécifiques à ces moments de classe, leur réitération va jouer en faveur de la fréquence du vocabulaire, condition d’apprentissage. M va profiter de tous les moments, en motricité dans le préau avec matériel, dans les ateliers, lors des jeux libres et pendant les regroupements.
En ce début d’année de TPS, l’enseignant doit faire volontairement cet effort d’utiliser et re-utiliser certains mots qui appartiennent au vocabulaire usuel des journées de classe, et qui vont être appris par les enfants, en compréhension :
– vocabulaire des parties du visage, avec un jeu en regroupement
M – aujourd’hui je vais dire ce que j’ai sur le visage. Alors, j’ai un nez, le voilà (touche son nez), et j’en ai qu’un, c’est mon nez. Vous aussi vous avez un nez, touchez votre nez (attend que les enfants le fassent). Et j’ai aussi 2 yeux, un (touche un œil), et deux (touche l’autre). Voilà, ça fait deux (montre 2 doigts) comme ça, un, et deux. Vous pouvez montrer vos yeux…
Idem avec une bouche, 2 joues, 2 oreilles. On convoque ainsi aussi les bases de 2 nombres.
– vocabulaire des actions motrices globales, avec des commentaires en salle de motricité (marcher, courir, grimper, glisser, faire des pas de fourmi avec un pied qui touche l’autre en avançant, faire des pas de géant, etc).
– vocabulaire des actions motrices manuelles, avec des énoncés qui accompagnent des gestes (visser – dévisser, enfiler, caresser, taper…) parfois dans les ateliers et parfois avec des comptines.
– vocabulaire des couleurs, avec des jeux, toujours en réception (montrer un légo rouge et dire « celui-là est rouge », montrer 2 légos bleus, montrer la même couleur que celui-là…). Les enfants ne connaîtront pas le mot « couleur » parce que c’est un générique qui ne peut pas renvoyer à un seul élément, mais ça ne les empêchera pas de dire des noms de couleur en fin d’année.
–>Jeux symboliques
Il se trouve que l’année de 2 à 3 ans est très riche en invention spontanée de jeux symboliques, il faut en profiter car c’est bon signe pour toutes les conquêtes langagières (voir Continuité des apprentissages, jeux symboliques). Par exemple, une fillette téléphone en conduisant son transporteur. On la voit au second plan sur cette photo.
M peut valoriser cette trouvaille, publiquement : « oh regardez, XX, mais qu’est-ce que tu fais sur ta voiture ? mais tu téléphones !! Bravo XX ! Elle fait semblant de téléphoner. C’est bien ! ».
–> Les livres
Parmi les objets « symboliques » que ces enfants vont fréquenter, il y a dorénavant les livres. Ces premières rencontres sont plus importantes que ce qu’on imagine: elles vont laisser des traces en tant que « beaux moments d’école », ou pas, selon l’investissement de l’enseignant. Et oui, ce n’est pas pareil de commenter des images pour faire passer du temps et faire vivre un personnage que l’on voit sur une page. Les enfants sont très sensibles à la théâtralisation.
¨Pour l’instant, les livres sont présentés, racontés de manière vivante et rangés dans le support bibliothèque: une dizaine de livres sont déjà connus des enfants. Ils renvoient essentiellement à des petites aventures que les enfants vivent en vrai: jeu, perte et retrouvaille de maman-papa, petite grippe, petite bêtises… Et ce n’est pas le hasard si les élèves de M préfèrent le livre où un enfant pleure, puis s’arrête de pleurer. Là on voit qu’ils vivent du « symbolique », une représentation de l’émotion qu’ils connaissent bien, surtout en ce moment d’absence de maman. On le sait, les livres c’est bon pour les enfants.
D’ailleurs, M est très contente car dès la fin septembre, certains d’entre eux allaient seuls, chercher le livre qu’ils avaient entendu pour le re-regarder. Bravo la maîtresse! Bravo les enfants!
Pour ce qui est de l’apport de ces moments en terme de premier apprivoisement aux supports écrits, voir Compréhension et production d’écrit, de 2 à 3 ans.
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