Chapitre 5 – mars / avril

Suivi de la classe au 1er avril 2024

Nouvelles de cette période:
– un groupe-classe qui se re-organise
– les livres dans la classe
– un nouvel emploi du temps
– l’évènement dessin du bonhomme
– des avancées inégales en langage

Un groupe-classe qui se re-organise

J’avais écrit, dans le chapitre 4, que M trouvait la classe un peu « bazar » et se demandait si elle n’allait pas passer à plus d’organisation. J’avais alors pris le parti d’attendre que les enfants soient tous un peu plus âgés afin de ne pas aggraver les écarts: c’est toujours un vrai problème en REP, à plus forte raison en REP +, avec, dans une classe, des enfants très très en retrait de ce qui pourrait ressembler à du scolaire et, par ailleurs, d’autres enfants déjà performants et demandeurs. Le principe « attendre que la moitié des enfants ait au moins 3 ans » me semblait une sage précaution.
Sauf que.
Le bazar s’est installé. Tous présents le matin et presque tous présents l’après-midi, ça devenait difficile. Et 3 enfants ont été souvent violents, en tapant tous les autres.
Après réflexion, on a pensé que le temps était venu de passer à plus d’ordre du point de vue des enfants, au sens de « on sait ce qu’on fait et pourquoi« . D’où l’organisation d’une sorte de Petite Section plutôt qu’une TPS. Depuis le 25 mars, les enfants ont, plusieurs fois par jour, des activités en petits groupes, parfois libres, parfois avec des consignes d’apprentissages. M leur a expliqué qu’ils étaient grands et qu’ils allaient travailler pour apprendre plein de choses, en passant chacun leur tour à des tables avec du matériel. Parallèlement, ils sont allés faire une visite aux grands et d’autres maîtresses leur ont expliqué ce principe. En insistant sur le « chacun son tour » pour le passage en ateliers, car on sait son importance à cet âge.
Tout ça a permis une nouvelle ambiance, alors que seuls 8 enfants sur 21 ont 3 ans révolus. Peut-être cette approche d’une demi-classe ayant 3 ans transforme-t-elle les besoins au point que les enfants ont envie d’autre chose que d’une ambiance de crèche… Peut-être que ce n’est pas tant l’âge que le degré de capacités langagières de la grande moitié de ces enfants qui explique l’envie de passer à autre chose. Car le langage permet bien plus que parler, il met ces enfants en position de penseurs, créateurs, anticipateurs, découvreurs, inventeurs, etc.

Les livres dans la classe

Dans le cadre de la nouvelle organisation, M dit que la classe est beaucoup plus calme et que les enfants entrent facilement dans les activités, qu’elles soient proposées ou libres. Pour ce qui est des livres, ils ont connu des manipulations intempestives en janvier-février, et M a décidé de choisir un enfant « phare » qui, sachant bien utiliser les livres, pouvait faire une démonstration devant le groupe-classe. Elle a choisi un des enfants qui tapaient beaucoup, afin de lui offrir un nouveau « statut » qui soit valorisant. La démonstration d’utilisation a consisté à: choisir un livre, le prendre et le tenir à l’endroit, regarder sa couverture, tourner les premières pages, et regarder, puis tourner chaque page, et parfois en « pensant à l’histoire de ce livre qu’on connait déjà ». A la fin on range lentement le livre à sa place pour que les copains puissent le trouver. Mais l’enfant s’est si bien débrouillé que M l’a nommé « chef des livres »: il est responsable de ce qui leur arrive et veille sur eux parce que c’est important dans la classe. Du coup, un enfant qui prend spontanément un livre, l’annonce au responsable qui donne l’autorisation et vérifiera s’il a été rangé. Bien sûr, tout ça est ce qui a été présenté et ne répond, dans la vraie vie, à aucune rigueur. C’est fait ou pas, peu importe. L’essentiel est que cet enfant soit appelé au secours de temps en temps pour lui rappeler que sa place dans le groupe est essentielle. Et, effectivement, il le vit ainsi. Du coup, les livres sont dorénavant en libre accès et ne sont plus maltraités.
Voilà un bel exemple du rôle de la maîtresse qui induit certaines relations entre un enfant et le groupe d’enfants: c’est un souci psycho-social qui a de l’importance.



Pour le prêt, M avait acheté des livres en 2 exemplaires, dès le début de l’année: un pour la classe et un en famille. Dans la classe, M a fait des « lectures » régulières des livres et les enfants les connaissent tous vers Noël. Depuis Janvier le prêt a commencé. Deux fois par semaine, les enfants ont l’habitude d’avoir la visite de 2 ambassadrices lecture (étudiantes) qui s’installent en plus des adultes habituels. Les enfants se rendent comme ils veulent, à une des tables tenues par un adulte et écoutent des « lectures ». Et de temps en temps, les ambassadrices sortent le classeur de prêt pour noter qui emprunte quoi. Les enfants sont libres de choisir de prendre un livre ou de reprendre celui qu’ils ont déjà emprunté. Ils le mettent dans un sac en tissu spécial pour l’emporter.
Lors des visites individuelles des familles pour regarder le carnet de progrès en décembre, M a expliqué le prêt aux mamans présentes. Ce discours est très important pour la mise en route: les enfants connaissent déjà les livres emportés, les parents n’ont pas d’obligation de lectures, ils peuvent seulement regarder leur enfant qui prend son livre, ou faire des commentaires, et dans la langue familiale habituelle. Ainsi, tout fonctionne bien, avec même quelques mamans qui rappellent à la maîtresse qu’elle doit procéder à un nouveau prêt. Seul point délicat: environ 1/3 des livres qui reviennent doivent aller à la poubelle: déchirés, pages collées par des boissons… Mais ça fait partie du challenge pour donner des habitudes aux enfants.

Moment avec les ambassadrices de lecture

Un nouvel emploi du temps

La nouvelle organisation de mars (voir § plus haut) est ainsi en place: accueil, premier regroupement court, motricité, second regroupement avec « lecture », puis ateliers à la place des activités libres du début d’année, puis récréation, avec ensuite habitudes de propreté et activités libres. M prend systématiquement ce moment du matin pour jouer avec les enfants prioritaires.
Dans ce déroulement, vers 9 h30, une affiche illustrée permet à M de présenter les 4 ateliers par leur objectif: « l’atelier pour apprendre à + VERBE ». Deux adultes sont présents, M et AT. Pour l’instant, M se réserve les ateliers nécessitant beaucoup de tutelle. Les enfants vont être appelés et ils savent qu’ils feront tous toutes les activités ce matin là. A cet âge cette certitude est très importante pour éviter les demandes et les changements d’occupation intempestives. Chaque atelier dure 5 à 10 minutes et ça aussi c’est important. Après cette durée, les enfants passent dans un second atelier.
A noter: cette forme courte d’ateliers est très appréciée des enfants. Presque tous restent à leur tâche. M commente cette nouveauté presque surprenante: « les enfants sont très contents du caractère individuel de leur situation. C’est comme s’ils se sentaient fiers d’avoir une place assise, un matériel particulier pour eux et un travail qui demande concentration et application. Ils se sentent grands« .
Voici quelques exemples.

Atelier pour apprendre à trier

L’enfant a trié les plots bleus et les a alignés

Atelier pour apprendre à reconnaître une quantité

Atelier pour apprendre à coller


Ateliers pour apprendre à colorier, avec une feuille ne comportant que quelques petites « fenêtres » à remplir

On remarque une bonne tenue de crayon, sans consigne spécifique, chez nombre d’enfants

Atelier pour apprendre à enfiler

L’évènement dessin du bonhomme

Plusieurs enfants ont tracé des ronds fermés lors de l’atelier « Apprendre à dessiner« .

M en a profité pour faire une commande à un de ces enfants: « Ad, bravo, tu sais faire des beaux ronds, tu as 3 ans et tu fais des choses difficiles. Alors regarde, je fais une tête de bonhomme (trace), je lui fais les yeux, le nez, et toi tu vas lui faire la bouche« .
On voit sur le dessin qui suit, à droite en violet, la tête en question avec la bouche tracée au bon endroit par l’enfant. Après l’avoir félicité M lui a dit qu’il pouvait maintenant dessiner un bonhomme tout seul et le résultat est le dessin de gauche. On remarquera que yeux, nez et bouche sont bien tracés à leur place et que AD a ajouté les cheveux et les bras. AD a 3 ans 2 mois, il est clair que l’âge joue pour beaucoup dans cet exploit qui nécessite une « sensation » de son corps et un bien-être psychique. C’est le premier dessin de bonhomme dans la classe!
Un autre enfant a fait le sien en vert dessous.

Avec cet événement, M va afficher les exploits et dire, en regroupement, que bientôt tous les enfants sauront dessiner un bonhomme. On applaudit.
L’après-midi de ce jour-là M demande à EM si elle veut, elle aussi, dessiner un bonhomme. Elle fait le bonhomme bleu ci-dessous: on voit qu’il est complet avec yeux, nez, bouche, cheveux et jambes et bras. EM est la fillette la plus âgée de la classe et elle est très à l’aise cette année. C’est aussi ce qui explique qu’elle va compléter son chef d’oeuvre: en jaune un soleil après démonstration de M et autour, le trait de la maison. Bravo EM!!


Des avancées inégales en langage

Les progrès sont évidents pour certains enfants et c’est plus difficile pour d’autres.
Voici les évaluations d’Avril:
– 5 enfants prioritaires, MI, NA, KLO, YO, ANA
– 5 enfants qui progressent lentement, KAT, ME, AL, MOB, SI
– 11 enfants très à l’aise en langage, dont M dit « avec eux, je peux discuter« , YA, AD, MOH, HA, MAD, LI, KO, RA, EM, ALY, KA.

Intéressons-nous aux enfants prioritaires. ce sont les mêmes qu’à la période précédente.
–>Je commence par NA car c’est M qui s’inquiète pour la fillette parce que, dit-elle, « le langage ne démarre pas« . Alors regardons ces quelques minutes de vidéo quand elle manipule des pièces d’un jeu, sous le regard de M.

La boîte contient un plateau – gâteau, 5 parts de gâteau qui lui correspondent et 3 fausses bougies qui se trouvent là. La fillette finit de remplir la boite au début de la vidéo. Elle se met immédiatement à chercher dans la boîte les 3 bougies, elle les prend de la main droite et les passe dans la main gauche pour pouvoir continuer son activité (elle est donc droitière latéralisée). Tout en gardant les bougies dans sa main gauche, elle prend les parts de gâteau une à une de manière méthodique et signale à la maîtresse qui la regarde qu’elle a pris la dernière part. Ici on a, à la fois, l’action de vider , l’action de catégorisation (les bougies et les parts de gâteau ne vont pas ensemble), la verbalisation du dernier exemplaire d’une série. Le « té! » qu’elle adresse à M en la regardant correspond au « bapoum » produit par la fillette que je montre dans « ACTIVITES SYMBOLIQUES ETONNANTES ET FONDATRICES » (dans Apprentissages). C’est une sorte de signal de fin (qui veut dire « y’en a plus », et/ou « au revoir », et/ou « j’ai fini », etc) qu’on trouve dans les premiers mots de très nombreux enfants entre 1 et 2 ans, au début du langage, et quelle que soit leur langue.
NA trouve alors le dernier objet de la boîte, le plateau-gâteau, le regarde puis regarde la maîtresse et le lui tend en lui disant « té papa! » avec un grand sourire qu’on ne voit pas à cause du floutage. Donc elle communique très bien.
La maîtresse est prise au dépourvu, et on la comprend, et choisit de lui renvoyer « c’est pour Papa, oui? pour TON Papa, un gâteau? » , ce qui est magnifique parce que ça montre à la fillette que cette personne qui est la maîtresse s’intéresse à elle et à ce qu’elle dit, et en plus elle évoque le papa. Bien sûr, avec le recul de 10 visionnements minutieux, on peut interpréter ce « té papa! » en « tiens maîtresse » puisqu’elle tend l’objet à la maîtresse. Car je rappelle que tant qu’on est en maternelle, ce n’est pas la langue qu’on vise (ici, le nom de la maîtresse) mais le langage (une forme choisie par un enfant et qui vaut une signification), comme lorsqu’un tout petit dit « Papa » pour son père, sa mère, sa tante etc.
Quant au renvoi de M, c’est bien, et ça n’a pas d’importance de choisir entre l’une ou l’autre interprétation (Papa ou Maîtresse), l’essentiel est de montrer de l’intérêt à la fillette et d’entrer en conversation avec elle. C’est le cas.
Et la fillette va recommencer à remplir et vider, c’est-à-dire à faire cette activité réversible qu’on retrouve dans caché /le voilà, dans ouvrir/fermer, etc qui fait partie des universaux de l’acquisition du langage comme l’a si bien décrit Bruner, considérant l’alternance motrice comme un geste précurseur de l’alternance des tours de parole.
Conclusion: est-ce que je me fais du souci pour cette petite fille? Oh que non. Parce qu’elle montre des activités cognitives et langagières standard et qu’elle a visiblement l’air très heureuse de jouer – parler, devant – avec la maîtresse, ce qui montre sa bonne adaptation scolaire.
Est-ce que je comprends le souci de M? Oui parce qu’elle a pointé ici le cas le plus difficile du métier: un tout début de langage (comme vers 1 an – 1 an et demi) chez une fillette qui a 2 ans 8 mois et dans une classe où d’autres enfants comprennent et parlent déjà bien. Voilà les écarts particuliers que j’ai toujours vus en REP.
Pour ces cas de figure si perturbants mais si importants, il faut renforcer la formation des enseignants du côté du développemental pour leur permettre d’interpréter positivement, c’est-à-dire en comprenant ce que sait faire l’enfant et pas ce qu’il ne sait pas encore faire.
Ceci dit, que faire avec NA? Pour la maîtresse, jouer aux jeux symboliques avec elle. Et encourager les grands parleurs à aller la chercher pour jouer. Et elle va parler. Et elle n’aura pas de retard de langage.

–> Autre chose est le cas de MI, dont on sait qu’il a déjà un suivi assez important et une aide en classe. En ce moment, il se déplace dans la classe avec 2 peluches qui appartiennent à l’école: 2 singes. Il peut crier, pincer un autre enfant au cou, ou garder un objet dans la main très longtemps. Il peut être très calme et rester sur un banc. Mais il ne reconnaît pas sa photo. La maman le conduit dans un centre spécialisé pour des tests de communication et d’orthophonie.

–> KLO ne joue pas encore avec les autres, il ne semble pas se reconnaître en photo, il dit « bonjour, merci, voiture« . Ses parents se méfient des microbes à l’école. Aussi est-il très souvent absent. Cependant, la maman vient d’accepter un rendez-vous de quelques minutes avec M.

–> YO est en progrès, il ne tape plus. Il parle un peu. Souvent comme un bébé. Mais il a récemment montré 2 objets en disant « deux ». Ses problèmes de santé sont énormes, il vient 2 matins par semaine à l’école. Il est suivi par le CAMPS depuis sa naissance.

–> ANA parle un peu. Elle est active et peut même faire des activités difficiles. mais elle est toujours en déplacement dans la classe. Pour l’instant, elle ne peut pas rester à une tâche.

Les enfants du deuxième groupe sont dans des débuts de langage: AL demande des choses en pointant, chante et joue, KAT veut toujours écrire et commence à parler mais a besoin de câlins, ME pleure moins et s’exprime en charabia mais avec l’intonation, MOB est timide mais commence à jouer avec les autres et SI parle peu, perturbée par une situation familiale.

M parie sur les nombreuses rencontres et les jeux avec les mamans, à l’école, pour obtenir plus de confiance réciproque famille-école, ce qui aidera les enfants.
Ci-dessous, un moment en salle de motricité avec les mamans, la maîtresse, la collègue de RASED et l’ATSEM qui jouent avec les enfants.

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Prévisions pour le Chapitre 6, dernier de l’année:
analyser la sortie à la ferme, voir des progrès en dessins, voir les carnets de progrès, faire un beau bilan sur les livres, faire un beau bilan des relations sociales entre enfants et surtout voir des progrès en langage pour tous.

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