Un carnet de progrès de 5 à 6 ans

Retrouvez le carnet de progrès de Charles de 4 à 5 ans en cliquant ici.

5 ans 2 mois

Pour cette entrée en GS, il est temps de faire le point sur l’appropriation par Charles des 9 objectifs Langage du Programme. Et ça m’amènera à des conseils précis aux enseignants.


Les objectifs 1, 2, 3 ne sont plus des problèmes pour lui depuis longtemps. Il parle bien, à tout le monde, et prend sa place dans toutes les discussions avec réflexions et argumentations. Même un peu trop, car il parle tout le temps et il a tendance à vouloir avoir raison, même contre les avis des adultes : « mais si ! il y a des gens qui sont allés sur Mars ! je le sais ! »… Il faut insister pour le préserver de l’invention quand on évoque le réel.

L’objectif 4 est conquis puisqu’il est capable de faire spontanément des remarques très complexes au sujet de la langue : « tu vois, quand on dit qu’on s’entend pas, ça veut dire 2 choses pas pareilles. On peut dire on s’entend pas parce que je suis sourd et on peut dire on s’entend pas parce qu’on n’est pas d’accord ». A la question, mais d’où peut-il sortir ça ? De ce que lui ont adressé « ses » adultes ». D’une part, je lui avais expliqué ce que voulait dire « être sourd » et d’autre part, lorsque ses parents se sont séparés ils lui ont dit qu’ils ne s’entendaient plus. Voilà.
Par ailleurs, pour cet objectif, il sait qu’on peut parler différentes langues et sur la soit disant « conscience phonologique », il n’en est pas là, alors qu’il a parfaitement découvert le Principe Alphabétique, comme on le verra avec l’objectif 8. Une preuve que cette « conscience » est inutile. L’appellation est erronée.

L’objectif 5 correspond à une des activités préférées de Charles. Il adore la fiction et les histoires dans la littérature de jeunesse. Il connaît ses dizaines de livres pratiquement par cœur, peut les raconter et expliquer les finesses des histoires : « le renard, il est très rusé, mais souvent dans les histoires, il est puni parce qu’il rencontre quelqu’un qui est encore plus rusé ».

Les objectifs 6 et 7 sont acquis par Charles. Il sait qu’on peut écrire à quelqu’un pour lui parler ou lui demander quelque chose. Spontanément, hier, il m’a dit « tu vas écrire quelque chose pour me demander une chose et je vais te répondre, en écrivant comme une lettre ». Je remarque ici l’importance des nombreux courriers dont il a fait l’expérience (oui oui, les maîtresses et les maîtres, faites-le, écrivez-vous avec les enfants, faites la lettre, l’enveloppe, mettez un timbre, allez poster avec les enfants pour qu’ils la reçoivent, etc ; c’est le pouvoir de l’écriture que peu d’enfants connaissent !).

Il m’a demandé « eil » et je lui ai dicté les 3 lettres. Il a fait seul le reste, et sans me montrer, pour que je puisse lire le message avec surprise.


Cet été, il a inventé une grande histoire avec sa famille et l’a dictée à un adulte. Cette activité était nouvelle pour lui. Même si le fil narratif est tenu, la cohérence n’est pas encore là, ce qui est bien normal (oui, oui, les maîtresses et les maîtres, faites de l’invention de textes adressés avec les enfants et pratiquez la dictée à l’adulte ; les enfants découvrent et apprennent alors des montagnes d’aspects invisibles de l’écrit !).

Les objectifs 8 et 9 n’ont pas de mystère pour Charles. On a vu dans son journal qu’il avait assisté à un bruitage pour écrire à 2 ans 5 mois et que ça l’intéressait. On a vu qu’il avait 4 ans 5 mois quand il m’a demandé de bruiter pour pouvoir choisir une lettre et écrire. Maintenant, il décide tout seul d’écrire « des choses » et il trace par exemple, en liste : ARICO (=haricot), TOMAT (=tomate), BALN (=baleine), en ajoutant qu’il va manger ça, et il rit.
Ce qui est important dans cette aventure est le fait qu’aucune de ses maîtresses n’a bruité. C’est uniquement moi qui l’ai fait de temps en temps. On en voit les effets ! oui, oui, les maîtresses et les maîtres, bruitez et écrivez devant les enfants, dès la PS un peu, en MS un peu plus, en GS souvent ! Tous les collègues ayant adopté cette pratique simple et qui ne coûte rien, disent qu’ils ont abandonné les activités « phono » beaucoup plus lourdes, qui mangent du temps, n’intéressent pas tous les enfants et n’ont pas d’effet sur l’objectif 8 (découverte du Principe Alphabétique)

Tout ça ne veut pas dire que Charles peut « sauter » la GS parce qu’il a un carnet de suivi très satisfaisant pour le langage. Il lui faut cette année de maternelle pour qu’il devienne plus sociable car pour l’instant, il ne joue qu’avec ses copains et copines qu’il connaît très bien, pour qu’il s’entraîne à dessiner « comme un grand » (les animaux sont représentés de face sur 2 pattes comme les bonshommes), pour qu’il apprenne à écrire « en attaché » (il en parle mais ne l’a pas fait à l’école), pour qu’il développe ses capacités motrices car il est toujours un peu craintif dès qu’il ne maîtrise pas l’activité, bref, pour qu’il soit un peu plus sûr de lui dans ce domaine et un peu moins sûr de lui quand il s’agit d’argumentation verbale.

Bonne année d’école Charles!!

5 ans 3 mois

A l’école, GS

Voici 2 fois que Charles me dit qu’il lui tarde tant de savoir lire.
moi – mais comment c’est possible que tu aies tellement envie? qu’est-ce que tu voudrais lire tout seul?
Charles – TOUT!!
moi – ah oui je comprends. Et ça va faire beaucoup de lectures. Et par quoi tu vas commencer?
Charles – peut-être par Harry Potter
moi – oh bonne idée. Et comment tu connais Harry Potter?
Charles – parce que ma cousine elle le lit. C’est un enfant magicien
Voilà donc une des motivations extrêmement importantes pour l’apprentissage de la lecture: la fréquentation d’un enfant proche qui commence à lire. La cousine de Charles a 8 ans. Le modèle!

J’ai continué cet entretien:
moi – mais tu sais déjà un peu lire, tu veux que je te le montre?
Charles – oui

Je fabrique 3 feuilles avec dessins, un de gros ours, le même avec des cheveux longs et un petit ours. Je fabrique 3 étiquettes PAPA OURS, MAMAN OURS et BEBE OURS. Et je lui dis: voilà 3 dessins je te dis rien d’autre, tu peux tout seul mettre leur nom avec ces étiquettes.
Charles s’écrie: ah c’est les 3 ours, j’aime bien le petit.
Puis il prend une étiquette écrite et bruite [b] [beubeu] et [rou].
Il prend la deuxième et bruite [p – pa – papa] et la troisième [m – ma – maman] et dit « papa ours » « maman ours » « bébé ours »! et met les 3 étiquettes sur les dessins.
A la question « alors est-ce que tu sais un peu lire? » il répond « oui » avec un grand sourire.

Moralité: voilà comment les jeunes enfants APPRENNENT ce qu’on NE LEUR ENSEIGNE PAS.
Charles n’a eu aucun enseignement de la lecture et il sait résoudre ce problème qui suppose une culture de l’écrit (emergent literacy pour les anglo-saxons) très importante: connaissance des 3 ours comme élément de littérature jeunesse partagé, connaissance de l’écrit comme modalité de commentaire du dessin, connaissance du principe alphabétique comme codage du sonore transcrit par des lettres, connaissance de lettres correspondantes à des sons.

J’ai repris la situation avec les 3 petits cochons qu’il connaît depuis longtemps, dans la version que m’a racontée ma grand-mère avec 3 cochons qui ont des noms.

5 ans 4 mois

La chambre de Charles a été équipée d’un bureau et de rangements. Il est en train de jouer sur son bureau et on a cet échange:
Moi- ça me fait drôle tu sais parce que tu joues tout le temps et dans un an, peut-être que tu auras tous les jours du travail après l’école, de la lecture, de l’écriture et des mots à apprendre
Lui- ah non! je veux apprendre à lire mais je veux pas arrêter de jouer!!!

5 ans 5 mois

2 photos qui éclairent l’opposition langue / langage dans les objectifs de la maternelle dans le domaine de l’écrit:
– la première où des étiquettes (connues par coeur) sont alignées par Charles et ça devient « Célia donne un renne« ,
– la seconde où il s’exprime par un message à quelqu’un (« je t’aime mamilion, signé Charles, bon noël mamilion« ).
La seconde option qui montre que l’enfant a compris la fonction de l’écrit (système symbolique social avec un code partagé, et qui sert à communiquer avec quelqu’un d’absent) est reconnue par un large consensus de chercheurs comme fondamentale dans la conquête à venir du l’écrire-lire. Dans le Programme 2021 c’est l’objectif 6. En revanche, on peut toujours se demander ce que construisent ou apprennent les enfants avec la première option puisqu’ils se contentent d’aligner des étiquettes.

à l’école

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à la maison
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5 ans et demi

Une des lois de l’acquisition en matière de langage est que les enfants qui découvrent un aspect jusqu’alors inconnu de leurs capacités, ressentant les nouvelles possibilités qui s’offrent à eux, se mettent à surinvestir la forme du phénomène, y compris lorsque c’est impossible dans la langue. En anglais, l’exemple le plus courant est le pluriel avec les cas dits irréguliers: un enfant de 3 ans qui découvre qu’on dit « dogs » au lieu de « dog » parce qu’il y en a 2, dira « two foots » (au lieu de « feet ») pour désigner ses 2 pieds. Autant dire que pour eux, une règle est une règle. En acquisition, on appelle ça une surgénéralisation.

Charles ayant découvert le principe alphabétique, il pense sans doute que c’est un principe auquel rien de déroge.
La première fois qu’il se révolte a lieu en novembre quand il doit écrire « bon anniversaire » à sa mère. Il bruite [bo] avec le O ouvert de « école » et me demande comment on écrit ce son. Je lui explique que le son est [ô} et que ça s’écrit O et N. Il s’insurge : « on dit pas bon – anniversaire, même maman elle le dit pas ! ». Cet argument est imparable et il a raison. J’essaie de lui expliquer mais il n’est pas convaincu.
La seconde fois a lieu en décembre quand son grand-père lui dit « ça, c’était avant-hier ». Il crie : « pourquoi tu dis avant – tière puisque c’est avant – hier ? ». Re-explication de l’enchainement articulatoire. Il s’énerve un peu.
Charles, enfant très « méta », connaît les premiers problèmes orthographiques avec les « liaisons » dans l’articulation. Et ce n’est pas fini…

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5 ans 7 mois

Le 22 février 2022, Charles à décidé tout seul de faire quelque chose qu’il n’a jamais fait: écrire une histoire.


Traduction
Il était une fois un poisson qui a vu une baleine. La baleine est contente d’avoir de la visite. Elle lui dit bonjour. Le poisson lui dit : « est-ce qu’on peut jouer à cache-cache sous l’eau ? ». La baleine lui dit oui. « C’est moi qui compte », dit le poisson.
 
Commentaires de Charles
Je vais écrire une histoire. Il faut d’abord que j’invente l’histoire. (réfléchit)
ça y est. J’écris en grandes lettres… alors il faut séparer, je préfère tout attacher.
(subvocalise et trace) (lève les yeux, réfléchit) (reprend l’écriture) (regarde ce qu’il a écrit et suit du doigt en relisant tout bas) (continue d’écrire en bruitant) Je vais à la ligne… C’est difficile parce que j’écris et j’invente l’histoire en même temps. (rencontre un problème parce qu’il a tracé la lettre R au lieu de la lettre P, il voudrait tout recommencer, je lui donne du blanc pour cacher et il continue) Alors je continue… Je mets un point c’est fini. (appelle son grand-père) tu vas lire ! tu vas lire !
(le grand-père lit et le félicite)
alors maintenant je peux faire le dessin. Faut qu’on voit qu’i compte le poisson. La baleine elle est cachée.
Il a travaillé 30 minutes.

L’objectif 7 est plus que gagné!!
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5 ans 10 mois

Charles s’exprime très bien, tient de longs discours sans problème, surtout pour expliquer les choses qu’il vient de découvrir (« alors tu sais, quand la terre bouge très profond, ça peut faire exploser le volcan, et la lave... ») . Ses « adultes » lui reprochent même parfois de trop parler.
Cette semaine, en vacances loin de son domicile, et uniquement avec des adultes, il demande soudain à son père s’il peut téléphoner à Milo, son grand copain d’école. Après rendez-vous téléphonique organisé par les parents, il y arrive enfin. La surprise de son entourage est qu’il va rester plus de 20 minutes au téléphone en racontant à Milo TOUT ce qu’il a fait en vacances. C’est surprenant car, comme la majorité des enfants, il reste silencieux quand c’est un parent qui lui demande de raconter ce qu’il a fait au square, à l’école ou chez les grands-parents. Avec Milo on ne peut pas l’arrêter et il finit par « et toi, raconte-moi ce que tu fais« . Voilà une belle caractéristique de l’amitié: tout dire à l’autre…

Après s’être parlé, Charles et Milo n’arrivent pas à se quitter. Ils se disent plusieurs fois « au revoir » puis Charles a une idée: « on pourrait s’écrire?« . Milo est d’accord et ils se quittent enfin.
Aussitôt Charles se précipite sur une feuille et fait sa lettre en commençant par dessiner des personnages d’un dessin animé qui est leur favori en ce moment. Puis il me dit « je vais écrire tu m’aides« . Mais quand je lui réponds qu’il peut écrire tout seul en attaché parce que sinon, en capitales, les autres ne peuvent pas lire, il décide alors de me dicter le texte ci-dessous. On voit que n’ayant eu que très peu d’entraînement à la cursive à l’école, c’est un obstacle à l’écriture. Maîtresses et maîtres de GS, s’il vous plaît, chaque enfant doit s’entraîner chaque jour en cursive

Voilà pour les objectifs 6, 7, 8 et 9.

Voici d’autres observations.
La vidéo ci-dessous se déroule un matin de vacances: alors que Charles passe le week-end avec Luna, 4 ans et demi, il décide de lui faire une lecture. On voit qu’il déchiffre assez bien (rappelons que personne n’a fait d’enseignement de la lecture avec lui, c’est uniquement dû à la découverte du principe alphabétique) et qu’il a choisi un type de texte très difficile, une B.D. On remarque également que la fillette regarde, non pas Charles comme s’il racontait, mais le livre.

Seconde observation. J’ai voulu voir ce qui se passait si je demandais à Charles de me dicter l’histoire qu’il avait écrite et illustrée 3 mois auparavant (voir plus haut 5 ans 7 mois). Je voulais savoir, d’une part, s’il pouvait déchiffrer son propre texte déjà ancien et surtout entièrement encodé en capitales les unes au bout des autres, d’autre part, s’il était intéressé ou pas, par une écriture de son histoire en cursives, avec toutes les conventions d’un texte lisible (objectif 7: repérer les blancs entre les mots, les majuscules, les signes de ponctuation, etc).
On voit ci-dessous qu’il sait effectivement se relire mais qu’il n’est pas du tout intéressé par mes tracés. Il va même jusqu’à hausser les épaules quand je lui dis que je dois mettre un point. Remarque: le haussement d’épaules est un signe de type « je ne comprends rien à ce que tu dis« , je l’ai vu maintes fois.
Moralité: Charles est « empêché » par son peu d’expériences en cursive, il n’a pas eu l’entraînement quotidien nécessaire, ni en MS, ni en GS. Et il est très loin d’avoir fait cette découverte texto-graphique des conventions d’un écrit long parce qu’il n’a eu aucune expérience de dictée à l’adulte. C’est en effet la seule situation où un enfant peut voir la transformation graphique d’un écrit en texte lisible. Maîtresses et maîtres de GS, s’il vous plaît, n’oubliez pas la dictée à l’adulte qui aide tant les enfants.

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6 ans

On a vu que Charles, à sa rentrée de GS (5 ans 3 mois) disait qu’il avait tellement envie de savoir lire. Mais le temps a passé et la « belle vie » de l’école maternelle semble déjà lui manquer. Dialogue à sa sortie d’école le 6 juillet :

Moi – tu sais que demain c’est ton dernier jour en maternelle !
Charles – oui… Mais je vais pas aller au CP.
Moi – ah bon ? Mais tu voulais savoir lire ?
Charles – oui mais je vais aller à la crèche. Avec tout, les copains, la tétine, les vélos, le biberon, et PAS LES COUCHES !!
Voilà où il en est en cet été avant la grande école, qu’il a visitée et où il a vu « des grands qui faisaient peur ». Et c’est vrai qu’il a été très heureux à la crèche. Tout ça va changer bien sûr. Et son histoire continue…

Retrouvez les années 6 et 7 du carnet de progrès de Charles en cliquant ici.