Un carnet de progrès de 6 à 7 ans

Retrouvez le carnet de progrès de Charles de 5 à 6 ans en cliquant ici.

6 ans 1 mois

Charles a eu des vacances bien remplies, voyant toute sa famille.
Il a beaucoup joué mais il avait aussi un cahier de vacances (les grands-mères veulent l’occuper) et il l’a rempli sans aucune contrainte. Il le faisait quand il le décidait, lisait seul le texte initial et demandait qu’on lui lise les consignes. C’est dire si les consignes sont difficiles à comprendre…
Par ailleurs il a fait d’énormes progrès dans l’eau, encouragé par un papa plongeur et des entraînements en piscine municipale. Il nage sous l’eau avec masque et tuba et commence à avancer sur l’eau en faisant la brasse.

Charles est en C.P., après avoir perdu ses meilleurs amis qui ont déménagé ou ont changé d’école…
C’est un peu dur pour lui.
Et je ne peux pas m’empêcher d’avoir de la peine en voyant son livre de lecture, édition récente de Istra, avec du code, du code, et du code. Où est le langage, où est la lecture dans tout ça et que vont faire les enfants qui sont sortis de maternelle sans avoir découvert le principe alphabétique. Voilà mes soucis.

6 ans 2 mois

Je ne peux pas m’empêcher de repenser à mon propre CP, en 1955, à Alger. J’adorais les aventures d’Ali et Lila. Et quelle surprise de retrouver la couverture de ce manuel, qui m’a certainement marquée… déjà grâce à Hatier!

6 ans 3 mois

On n’est qu’en Octobre de C.P. Si le manuel de lecture n’intéresse pas vraiment Charles, il a inventé une activité passionnante. Il sort de l’école en m’annonçant tout content: « tu sais, pendant la récréation, avec Gaspard on a inventé quelque chose. Il me dit par exemple ‘6 plus 3’ et moi je trouve 9. On en fait plein comme ça. »
Je survalorise une telle activité intellectuelle (sans aucun support, à part l’amitié entre les 2 garçons…) et sors son cahier de devoirs. La maîtresse a écrit 4 opérations au tableau
8 – 5 =
8 + 3 =
9 – 5 =
6 + 1 =
et les enfants les ont copiées sur leur cahier. C’est leur « devoir » pour le lendemain.
Charles lit, résout, écrit les réponses et ajoute 2 opérations qu’il invente et résout.
Je lui dis alors: « hou, tu fais des choses difficiles, alors je peux te demander encore un peu plus difficile. Je vais te dire quelque chose qui ressemble à une histoire mais ça s’appelle un problème. Il faudra que tu trouves le problème, que tu l’écrives, que tu écrives la réponse et tout ça , sans parler!! Tu essaies de faire tout dans ta tête. OK?« 
Il est ravi.
« C’est l’histoire de Sara. Elle est très contente parce qu’elle a compté et recompté ses bonbons et elle en trouve 10. Ouah! c’est beaucoup. Elle va dehors et elle rencontre Ali. Elle lui montre ses bonbons et lui dit qu’elle en a 10. Ali lui dit: « tu m’en donnes 1? ». Alors ça l’embête parce qu’elle voudrait bien garder tous ses bonbons. Mais comme elle aime beaucoup Ali, elle lui en donne un. Tu crois qu’il lui en reste combien?« .

Charles réfléchit et ajoute une dernière ligne à ses devoirs. Bravo Charles!

La dernière ligne est la résolution du problème. C’est sûr, cet enfant fait des exploits numériques.
Les hypothèses pour cette activité sont : d’une part Charles a « compris » ce que signifie « problème » en tant que problème mathématique puisqu’il transforme une histoire de fiction banale en question et calcul de résolution, d’autre part il mobilise le langage intérieur (voir mon livre édition 2022, page 21) sur ma demande, et sans difficulté.

6 ans 4 mois

Préparant l’anniversaire de sa maman, Charles m’a demandé de l’aide. Ce n’est pas le hasard s’il a choisi de lui offrir une histoire puisqu’il en a déjà écrite plusieurs les années précédentes.

Il a commencé par dire faut que je cherche dans ma tête de quoi ça va parler.
Puis il a dit ça sera un arbre magique, qui fait des bijoux, un bijoutier.
Il a ajouté si je lui fais aussi un bijou, elle aura une histoire dans une histoire.
C’est à peu près à ça que l’objet final va aboutir (2 jours de plusieurs séances de travail), c’est un objet « méta« , avec:
– un livre complet racontant une histoire de fiction,
– un vrai collier dans un papier cadeau, à la fin du livre, qui lui même, provient de l’arbre magique de l’histoire.
En voici des éléments: la couverture du livre, qui présente la seule illustration, puis le début du texte, et le collier en fin de livre.

Parmi tous les moments intéressants de conception de l’histoire, de premier jet d’écriture sur ordi (souvent moi, parfois lui) et de brouillon, j’ai choisi de montrer ce moment de dictée à l’adulte.
Un emboîtement de contraintes est en jeu: on doit dire au lecteur du livre que Lapin apporte son cadeau à sa maman (problème de production de texte) mais, dans l’histoire, la maman ne doit pas savoir que c’est un cadeau pour elle. D’où l’embarras de Charles (je sais pas ce qu’on pourrait dire). L’adulte reprend une formule qu’il avait proposée juste avant (i faut pas qu’i réponde, c’est une surprise!). Voilà de la métacognition de haut niveau.

6 ans 5 mois

L’évènement pour Charles ce mois-ci est la perte d’une dent de lait

Sur le plan des apprentissages, tout se déroule bien au CP. La maîtresse l’a félicité: il lit très bien et comprend ce qu’il lit, s’intéresse à tout, et il est gentil avec les autres enfants.

Ecriture
Voici où il en est de l’écrit en production de message à Dex, son grand-père.

Les progrès par rapport à la manière dont il écrivait quand il avait 5 ans 10 mois, en GS, sont les suivants:
–> il utilise l’écriture cursive (enfin!), ce qui lui permet la segmentation efficace en mots. On peut donc maintenant lire ce qu’il écrit. C’est un progrès typique du CP parce que c’est la lecture (et pas des entraînements artificiels ad hoc) qui conduit les enfants à séparer le flux de la parole qu’ils se dictent en unités graphiques, quand ils écrivent.
–> il a mémorisé la forme graphique normée (en « bloc », procédure logographique) pour 5 mots de ce message: Noël, Dex, je, que et cadeau.
–> les autres mots sont écrits par encodage (procédure phonographique) et il faudra en suivre l’évolution cette année. Ce sont les mots « joyeux, t’aime, j’espère, tu, vas, aimer, ce », pour l’instant graphiés comme en maternelle. Le mot « joyeux » donne à Charles beaucoup de travail: il s’auto-bruite « j », « o » = « jo » puis « oua » qu’il écrit bien « oi » puis il utilise le groupe « ille » qu’il connaît pour faire « ye » dans mireille.
On attend que Charles découvre: les majuscules et la ponctuation, les apostrophes et le « e » final en français qu’on n’entend pas à l’oral.

Lecture

Un beau moment de lecture par Charles avec un public. Il lit puis tourne le livre pour montrer les illustrations, comme à l’école.

Ce qui est le plus étonnant dans ce moment est,
– d’une part, l’intérêt que porte Charles à l’histoire qu’il lit, et ce n’est pas difficile d’y voir l’intérêt de l’humour sur du caca…
– et d’autre part, sa fierté à être le maître du jeu dans l’écoute des spectateurs. Il souligne régulièrement: « attendez, vous allez être impressionnés!« , pour renouveler le suspens. Il est heureux d’être, en tant que lecteur en public, le détenteur de l’impatience de l’auditoire! Cette performance, mise en scène avec jubilation, repose sur sa capacité à assurer une lecture fluide. Et on sait que la fluidité de la lecture à voix haute donne beaucoup de mal aux débutants lecteurs de CP. Charles, lui, n’a pas de problème et cette fluidité est le résultat des milliers de lectures d’albums qu’il a entendues depuis sa naissance. Et oui! Même si les enseignants de maternelle n’ont pas vraiment l’impression de travailler quand ils lisent un album au groupe de classe (je tiens ça des heures de discussions que j’ai eues avec eux) il faut qu’ils sachent que ce moment précieux n’a pas d’égal.

Dans la vidéo, de temps à autre, la verbalisation de Charles montre de petits « décalages » entre sa propre activité langage et la langue du texte lu. Parfois il rectifie, par exemple: « il croit que c’est / que ce sont des bonbons... » –> la première formulation est langagière (la manière dont il parle depuis longtemps) et la seconde est plus littéraire puisqu’on ne l’utilise pratiquement pas dans l’oral ordinaire. Parfois il ne rectifie pas comme si ça ne gênait ni sa propre compréhension, ni celle de l’auditoire: « sinon il va nous / enterrer« , qu’il lit sans liaison (langue du texte) alors qu’à l’oral il aurait dit « il va nous z’enterrer ». On voit donc très bien la rencontre du langage et de la langue quand on est en verbalisation. Et c’est la force de Charles d’être le roi du langage. Et ici il va plus loin avec sa compréhension fine de second niveau par rapport au langage, car il faut comprendre ce qu’il y a de drôle dans le fait de prendre des crottes pour des perles, de s’étonner qu’un collier de ces perles sente si mauvais, ou de s’imaginer une descente à ski sur une montagne de crottes. Dorénavant, Charles est en connivence avec les adultes du côté de l’humour. BRAVO!

Au secours, évaluation

Incroyable mais vrai, ci-dessous, l’item 3 de l’évaluation n°2 passée ce mois-ci (janvier) en CP.
Lisez la consigne puis faites le travail!

1- il s’agit d’un texte avec marqueur anaphorique POSTPOSE: en lisant la seconde phrase commençant par « ils » , on ne sait pas de qui il s’agit, et il faut lire 2 phrases plus loin pour trouver « les enfants ». D’ailleurs, Charles, très bon compreneur a judicieusement barré le bloc « ils sont tous vêtus » qui, pour lui, n’a pas de sens en début de texte.
2- comme si ça ne suffisait pas à mettre les enfants en échec, le texte contient des « mots intrus ». Déjà, combien d’enfants savent ce que ça veut dire? Mais ça s’aggrave, ces intrus sont insérés dans le texte sans marque typographique particulière (on aurait pu voir des parenthèses ou des tirets de chaque côté, on est en Janvier de CP!!), et de plus, il s’agit de mots n’appartenant pas au vocabulaire actif des enfants de cet âge actuellement: soda, torticolis, hululent, à élément.
Pour Charles, pas de souci, il a heureusement tout barré, façon de dire que cet exercice est infaisable. Mais je me fais du souci pour tous les autres.
Comment peut-on inventer un item sensé évalué la compréhension en lecture chez des lecteurs grands débutants (janvier de CP) dont le seul effet est de les mettre dans une situation qui n’a aucun sens ?

6 ans 8 mois

Lecture

Pour avoir une idée de ce que ressent un enfant au moment où il possède une maîtrise totale de la lecture – compréhension, j’ai demandé à Charles: « il y a un an, tu m’avais dit que tu voulais apprendre à lire, pour lire TOUT! maintenant que tu sais bien lire, tu peux me dire ce que ça te fait, ce qui a changé pour toi? ».
Charles – ben je peux lire des histoires, je peux apprendre des choses… et je m’ennuie plus!
On revenait alors du Salon de l’agriculture où on lui avait donné 3 livrets d’histoires de Jean Bonbeur, au stand des cochons. Il se plonge dans la lecture, change de livret 2 fois et s’adresse à son père: tu pourras me les lire Papa? je comprends rien. S’agissant de textes techniques sur l’élevage des cochons, il sait que c’est trop « difficile » pour sa compréhension mais demande de l’aide. Bravo Charles.

6 ans 9 mois

Récemment, Charles me racontait un épisode de l’école et il me dit : la maîtresse elle a dit que pour apprendre à lire, il fallait faire le bruit des lettres, et ça, je le savais pas.
Etant donné qu’il est lecteur confirmé depuis longtemps, je suis toute étonnée et je lui réponds : mais tu le sais depuis longtemps ! tu l’as appris en écrivant, tu avais 4 ans et tu me demandais « tu peux me faire le bruit des lettres ? » pour pouvoir écrire ce que tu voulais.
Il ne semble pas convaincu et ajoute « non, on me l’avait pas dit ».
Ce moment est particulièrement intéressant pour la recherche.
Il suppose que le fonctionnement de la métacognition n’est pas, chez un jeune enfant, une boîte noire « on/off » qui serait de type « je sais pas /je sais », ou encore « je n’ai pas conscience de/j’ai conscience de».

Quand Charles écrit (avec des dents de scie) à 3 ans 8 mois, il répond à ma demande de relecture (« tu peux relire ce que tu as écrit ? ») en disant « j’ai re-allé à l’école… ». Dans ce qu’il dit, il y a une relation indiscutable entre son tracé et sa production verbale. Cela veut-il dire qu’il a conscience de la fonction de l’écrit ? Pas forcément. Il s’agit d’une forte intuition, d’un degré de conscience impossible à définir, une sorte de préconscience par rapport à ce que nous nommons « conscience de ».

Quand il essaie d’écrire « Lulu », à 4 ans 5 mois, et qu’il me demande le bruit des lettres, la même question peut se poser : je dis qu’il a découvert le principe alphabétique, mais en a-t-il conscience ? Pas au sens où nous l’entendons. Il serait bien incapable d’expliquer que les lettres sont des signes à valeur sonore, et pourtant il s’en sert avec une telle valeur. Il est conscient, sans en être conscient, de ce qu’il maîtrise déjà. Et en l’occurrence, à l’école, ça n’a pas d’importance. L’essentiel est que le procédé soit le bon et qu’il l’utilise spontanément dans un contexte adéquat.

Ainsi, je crois qu’il existe des degrés qui nous échappent, de préconscience – conscience en matière de métacognition chez l’enfant.

Mais il y a encore plus mystérieux : qu’est-ce qui fait « basculer » l’enfant, à un moment, dans une « vraie » conscience telle que nous la définissons ?
On a la réponse de Charles à 6 ans 10 mois alors qu’il sait parfaitement lire et qu’il s’étonne parce que la maîtresse a énoncé la définition de l’apprentissage de la lecture = faire le bruit des lettres. On ne peut faire qu’une hypothèse : c’est parce que c’est la maîtresse qui l’a dit, que Charles l’entend, le comprend et cite cette grande nouvelle. En tant qu’experte n°1 de la lecture pour Charles (au-delà de tous les membres de sa famille et de ses connaissances) la maîtresse est la seule à pouvoir exprimer un principe aussi puissant. Et ça y est, l’enfant est conscient de son activité cognitive. Non pas celle qu’il a en ce moment (il est lecteur-compreneur) mais celle qu’il a eu, il y a longtemps, entre 5 et 6 ans.
On retrouve ici l’importance de l’expert aux yeux d’un enfant : quand il entend/voit faire un adulte qui montre et explique sa maîtrise totale d’un savoir-faire ou d’un savoir, il s’en empare tranquillement comme si la confiance envers cet adulte était une condition de son apprentissage – progrès. Un enseignant qui se comporte comme un expert est un pro, il ne peut pas être remplacé par n’importe qui.
Je renvoie ici au travail magnifique d’Alison Gopnik (2017) à ce sujet (voir mon livre 2022, page 247).
Ainsi se déroule l’histoire d’un cheminement qui va de l’ignorance à la question métalinguistique totale d’une procédure singulière. La revue de travaux de Gombert avait déjà mis en lumière cette complexité (1992).

L’intérêt pour les maîtres est d’être conscient (là, oui, il s’agit de conscience) qu’il ne faut surtout pas poser de questions métacognitives aux enfants de maternelle : alors qu’ils « savent » déjà faire beaucoup de choses avec le langage et la langue, ils ne peuvent pas en parler comme nous pouvons le faire. D’où l’aggravation des écarts dans une classe où l’on pose ce genre questions. « Tu expliques comment tu fais ? » et seule celle que j’appelle la « fille-de-la-maîtresse » répondra, ce qui permettra à la vraie maîtresse de poursuivre…

Références bibliographiques
Gombert J.E., Activités de lecture et activités associées, in Psychologie cognitive de la lecture, Fayol & al., PUF, 1992, 107-140.
Gopnik A., Anti-manuel d’éducation, Le Pommier, 2017.

6 ans 10 mois

Charles a décidé de préparer des menus pour inviter sa famille dans son « restaurant ». Il décide qu’il a un restaurant italien et voici les 4 pages du menu.

On a donc ici une vrai écriture de fin de C.P..
– On voit que l’enfant a un problème graphique avec le S en fin de mot parce que la maîtresse ayant dit qu’il ne fallait pas oublier la petite queue en fin de lettre, il la trace systématiquement, ce qui rend la lecture difficile: olives, pistaches, cacahuètes, etc.
– Il continue d’utiliser une procédure « phonographique » (encodage de ce qu’il entend dans le mot et écriture approximative, par exemple pour « du sosison ») à laquelle s’ajoute une procédure orthographique mémorisée (les S du pluriel, les mots et expressions « beaucoup », « à tout », chocolat », etc). Enfin, quand il pense qu’il n’y arrivera pas, il demande à un adulte (curly, cacahuètes).
Si tout ça est « ordinaire » pour une fin de C.P., ce qui est dommage est qu’il refuse totalement de revenir ensuite sur son écrit. On voit qu’il ne l’a jamais fait. D’ailleurs, il dit qu’il n’a jamais écrit à l’école, sauf lorsqu’il copie les devoirs ou des mots dans des exercices à trous.
Cet exemple n’est pas rare. Tout se passe en C.P. comme s’il s’agissait de l’année de lecture. Les enfants n’ont jamais l’occasion d’écrire, encore moins de reprendre un écrit, avec ce qu’on a appelé dans les années INRP le « doute orthographique ». Pourtant, il va bien falloir y arriver…

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