Retrouvez le carnet de progrès de Charles de 2 à 3 ans en cliquant ici.
Aout 2019, 3 ans
Charles a eu 3 ans le 21 juillet et a soufflé ses 3 bougies.
Il sait montrer 3 doigts quand on le lui demande, « sait » que c’est plus que 2, alors que la « comptine numérique » reste tâtonnante : 1, 2, 3, 4, 8, 9.
Il parle très bien, se fait comprendre par tout le monde et il est très bavard.
J’ai choisi de montrer ici deux grandes avancées cognitives sur cette période, l’une concernant son sens de l’humour, l’autre relative à l’énonciation. Ces zones de « travail » pour lui nécessitent des éclaircissements théoriques et c’est volontaire de ma part afin d’illustrer l’intrication théorique-pratique que nécessite la formation à ce métier d’enseignant en maternelle. Faute de ces outils pour comprendre et interpréter, on s’en tient à des lieux communs.
Les blagues
Bien sûr, le milieu familial a joué fortement dans cette nouvelle aptitude. La surprise vient du fait que Charles en a l’initiative par le langage et que ça le fait beaucoup rigoler. On peut donc interpréter ces « jeux » comme une forme de « théorie de l’esprit » (livre page 65) puisqu’il choisit ce qu’il dit pour faire rire l’interlocuteur en prenant son point de vue et le faire rire par surprise. La vidéo ci-dessous fait suite à un moment où il vient d’attribuer des noms rigolos aux représentations du cahier de coloriage. L’adulte lui demande s’il va recommencer et il alterne les désignations normales avec les désignations décalées : il a alors son sourire coquin.
Il peut faire des blagues dans des situations très différentes. Exemple :
Père – alors Charles, t’as passé une bonne de semaine de vacances ? Combien tu lui mets sur 10 ?
Charles – (réfléchit, puis sourit) deux !
Père – (rit) et à Papi qui s’est bien occupé de toi, tu lui mets combien sur 10 ?
Charles – (rigole carrément !!) deux !!
Conséquence pédagogique
J’encourage vivement les enseignants à habituer les enfants à entendre des blagues. C’est bon pour eux ! Les prévenir en PS et en début de MS puis ne plus les prévenir pour repérer les enfants qui ne comprennent pas. Exemple en PS, je vais vous faire une blague. C’est l’heure de la récréation, on va mettre les pyjamas et aller au dodo. Exemple avec les plus grands, c’est l’heure de la cantine, aujourd’hui vous allez manger de la baleine…
L’énonciation
On a vu qu’on avait des traces d’énonciation dans le discours de Charles à 2 ;01 : il utilisait des pronoms (je, tu, il), des verbes de modalité sans sujet grammatical (veux, peux pas) ou son prénom pour s’auto-désigner (Charles !). Qu’est-ce que ça veut dire ?
Il s’agit d’une des plus grandes avancées de la linguistique au 20° siècle. En France, entre 1958 et 1965, Emile Benveniste[1] théorise la nature de l’énonciation en explicitant
– la propriété subjective de l’activité langagière,
– l’existence inhérente du temps présent dans tout discours (moment précis de la parole).
Dans sa formalisation, Antoine Culioli dit que tout énoncé est repéré en S et en T. S désigne le sujet psychologique qui dit (avec « je » entre autre) et T renvoie au repérage spatio-temporel parce qu’on utilise de nombreuses formules spatiales pour évoquer du temps, comme dans « à la crêche, j’ai fait du vélo ». Dire qu’un enfant « sait » parler, c’est pouvoir le comprendre parce qu’il parle comme nous, avec des repérages clairs en S et en T. Je cite souvent un enfant de petite section qui vient dire à la maîtresse, dans la cour « y’a qu’unqu’un qui a tapé qu’unqu’un ». Si elle lui dit demande où ?. Il montre son bras (endroit tapé). Et le malentendu s’installe. A partir du moment où un enfant peut situer ce qu’il dit par rapport à lui et dans l’espace-temps, il est énonciateur « complet ». D’où la vidéo qui suit.
Charles est dans le sud de la France et échange en message vidéo avec sa maman restée à Paris. Alors qu’il la voit, il lui demande où elle est : belle prouesse car quelques mois auparavant, il aurait pleuré, ne comprenant pas qu’il ne puisse pas la toucher tout en la voyant. Il va faire encore plus en lui demandant « et après tu nous rejoins à F ? ». F désigne un lieu de région parisienne, domicile de ses grands-parents. Tout est repéré par rapport au moment de parole présent (et après) et à l’espace présent (tu nous rejoins). C’est dire à quel point le langage est une question de représentations mentales : Charles anticipe un futur dans lequel il se représente sa mère dans un lieu où il n’est pas et où elle n’est pas, et dans lequel ils vont se retrouver. Bravo !!
Conséquence pédagogique
Et si l’école faisait quelque chose pour les enfants qui n’ont pas la chance de vivre des interactions aussi complexes ? Avec des vieux téléphones portables et des abonnements de quelques euros, on pourrait envisager des jeux, dès la PS, pour leur apprendre à répondre au téléphone, d’abord en présence de l’interlocuteur, puis à distance dans l’école (il faut alors poser des questions pour savoir qui appelle et où il est). [1] Problèmes de linguistique générale, tomes 1 et 2, Gallimard.
Septembre 2019, 3 ans 1 mois
Charles est rentré en Petite section le 5 septembre. Tout s’est bien passé. Il y va avec une copine, Louise.
Quelques jours après :
moi – alors, ça va bien l’école ?
Charles – oui
moi – comment tu trouves ta maîtresse ?
Charles – (réfléchit) belle !!
Donc c’est gagné. Je suis sûre que tous les enfants qui se sentent bien à l’école trouvent « belles » leurs maîtresses.
Cette nouvelle collectivité, si évoquée par l’entourage, semble avoir fait « grandir » Charles. Il lui arrive de parler comme un adulte. Voilà un exemple.
moi – dis-moi, qu’est-ce que tu fais pendant la récréation ? tu joues ?
Charles – non. Je m’assois sur un banc et je réfléchis.
moi – ah mais c’est parce que tu as pas encore de copains. Mais tu m’avais dit que tu étais copain avec Gaston. Alors Gaston, lui, i joue en récréation !
Charles – non. I s’assoit sur un banc et i réfléchit.
Bon, on en saura plus dans quelque temps…
Octobre 2019, 3 ans 2 mois
Le bien être psychique
Bien que « grand », Charles a un grand besoin de maîtriser l’alternance présence – absence: il revendique systématiquement d’allumer – éteindre, ouvrir – fermer les portes, ouvrir – fermer les robinets et regarder partir les véhicules qui démarrent. On a noté ce début d’intérêt à 4 mois et c’est loin d’être fini. Un rappel aux maîtresses de Petite Section de ne pas oublier tous les jeux où on se cache et où on cache quelque chose.
Les progrès dans les tracés
Un effet de l’école, entre autres, l’application de Charles dans les tracés et ses progrès dans l’appréhension de l’écrit. La maîtresse et les parents lui demandent de mieux tenir son crayon et il dit spontanément faut faire la pince, pour s’auto-encourager à la tenue avec les doigts plutôt qu’avec toute la main (photo ci-dessus avec une craie).
Du coup, ses dessins évoluent et voilà un beau bonhomme!
Ses simulacres d’écriture évoluent aussi. Il choisit ce qu’il va « écrire », le dit, commence à gauche et trace horizontalement. Ici, il a écrit tous les prénoms des membres de sa famille. Et comme tous les enfants qui sont en nouvel exploit (nouvelle conquête) il légitime le fait de ne pas pouvoir s’arrêter en disant, par exemple, que Papi, son prénom est très grand…
Les connivences école – famille
Charles a eu la chance d’avoir une maîtresse qui cultive les bonnes relations école – famille. Elle utilise l’application Klassroom pour donner quotidiennement aux parents quelques mots sur l’évolution des activités en classe et ajoute des photos montrant le groupe ou les enfants de chaque famille. C’est un excellent outil pour un démarrage de cette première année d’école. Ceci étant, je donne mon avis complet sur Klassroom dans l’onglet « alertes ».
Novembre 2019, 3 ans 4 mois
Conquêtes motrices
Charles fait des progrès de géant en autonomie motrice. Effet de l’âge ET de l’école : s’habille et se déshabille seul, se brosse les dents seul, refuse le pot pour les grandes toilettes, prend une petite chaise pour atteindre le haut d’un placard, accepte de traverser le pont de singe « de grand » au square, etc.
Conquête intellectuelle et culturelle
Il progresse dans sa culture de l’écrit en énonçant ce qu’il veut écrire, puis en « l’écrivant », et maintenant en « le relisant » ! Et tout ça, spontanément. Ici au restaurant.
Au centre, le dessin, et tout autour les écritures, dans lesquelles Charles raconte sa vie…
Il a atteint l’objectif 6 en langage dans le Programme officiel, qui est en principe à atteindre en fin de maternelle: découvrir la fonction de l’écrit.
Conquêtes orales
Charles est très très performant à l’oral. Parfois avec des formules étonnantes pour son âge : me dit en jouant, tu peux déplacer cet objet ?
Et sa grande investigation se poursuit pour les désinences verbales. On sait que le français est une langue particulièrement difficile quand on l’apprend uniquement « avec les oreilles » (sans écrit) car les registres de langage (par exemple je suis allé à = j’ai été à), les liaisons (i z’ont 3 ans), les irrégularités pour aller, être, avoir (il va, ils sont allés), etc, permettent mal de « distinguer » des unités de langue. Mais les enfants sont « programmés » pour se caler sur les phénomènes fréquents, ils sélectionnent ainsi dans ce qu’ils entendent, des « bouts » utiles à ce qu’ils ont à dire et, on le sait parce que c’est une règle dans les acquisitions « naturelles » comme l’oral, ils sur-généralisent leurs nouvelles conquêtes. Deux exemples.
– Je lui demande de faire attention quand il est sur le palier pour ne pas se retrouver « à la porte » si elle claque. Il me répond : juste je regarde quand tu pars, et après, hop ! je m’en aille chez moi !. Avec nouvelle appropriation du subjonctif.
– On cherche des voitures perdues.
adulte – mais on les avaient rangées là ces voitures, non ?
Charles – non i z’ontaient pas là
Avec généralisation de la terminaison en [è] pour le passé + auxiliaire avoir pour être, deux verbes au même statut. Pas de doute, les enfants sont de vrais linguistes. La preuve : Charles est très habile métalinguistiquement (analyses de la langue grâce à la langue), par exemple en disant Tout le monde m’appelle un animal, maman elle dit Chat, papa i dit Lapin, toi tu dis Poussin et papi i dit Biquetou. C’est rigolo. Et il sourit.
Théorisation de l’esprit
Voir Pages 115-116 de mon livre, la description de l’expérience de la « boîte décevante » qui vise à déceler la prise en compte du point de vue d’autrui par un enfant vers 3 – 4 ans. Je montre la boîte de Smarties à Charles et lui demande ce qu’elle contient, à son avis –> des bonbons. Puis je la vide et il constate qu’elle contient des crayons. Je remets les crayons, ferme la boîte et lui demande alors que va dire ton papi si tu lui montres? il répond des bonbons. Et toi, tu dis quoi si je te le demande? des crayons et il rit. Voilà deux photos prises après le jeu: il rit parce qu’il sait ce que contient la boîte et sait qu’on peut « tromper » quelqu’un qui n’est pas au courant (représentation de la représentation d’autrui). Bravo Charles!
Décembre 2019, 3 ans 5 mois
Théorisations de l’esprit (suite)
L’histoire de La Petite Poule Rousse (Byron Barton, Ecole des loisirs) est particulièrement intéressante parce que l’accumulation des refus des 3 amis conduit la poule à les punir : elle pourrait dire, à la fin, puisque vous ne m’avez pas aidée, je ne vous donne pas de mon pain. Les 3 amis en sont tout étonnés.
Charles suit très bien l’histoire, depuis son début, et participe à la ritournelle « pas moi, dit le X », comme le font de nombreux enfants de cet âge.
La question est de savoir s’il a une représentation du sentiment de colère de la poule qui finit par se venger. A la question Comment ça se fait qu’elle ne donne rien aux 3 amis ? Charles, très embêté, donne 2 réponses sur la dernière vidéo et il en donnera une troisième après le tournage :
– parce qu’ils ont pas le droit (argument d’autorité),
– parce qu’ils sont tristes (sa perception de l’illustration l’emporte)
– parce que c’est pas l’heure du goûter (argument issu de ses habitudes du monde réel).
Charles n’a donc pas encore une théorisation des représentations d’autrui assez puissante pour comprendre clairement cette histoire. Il est bien possible aussi qu’en fonction de la familiarité du scénario expérimental, les enfants répondent « juste » ou « faux ». On a vu qu’il avait trouvé la réponse pour la boîte décevante (3;04), sans doute par ce que ce n’est pas étrange de ne pas savoir ce que contient vraiment un objet quand c’est la première fois qu’on le voit. En revanche, la réciprocité de l’entraide, comme valeur sociale partagée, n’appartient pas encore à son mode de vie.
Apprentissage de la langue française
Je ne conseillerai jamais assez aux maîtres d’écouter, écouter, écouter les enfants. Car ils sont « transparents » dans leurs constructions de la langue. Oui ils la construisent. Voilà un exemple chez Charles. On sait qu’il parle très très bien et que tout le monde le comprend depuis longtemps. Mais le français est une langue si difficile qu’il lui arrive de tomber sur un os…
On vient de lui dire qu’il pouvait baisser le volet électrique parce qu’on sait qu’il adore ça. Il regarde l’adulte, s’arrête et dit:
– tu sais, hier, i faille, i faille, i faille couper moi en deux quand i descendu
C’est facile de comprendre qu’il essaie de dire qu’un autre jour, un volet a failli le couper en deux. Alors n’oublions pas qu’à cet âge, les enfants sont analphabètes et que donc, contrairement à nous, ils ne « voient » pas de mots écrits dans leurs têtes. Ils ne travaillent qu’à partir de ce qu’ils entendent. Et Charles a déjà entendu « il a failli tomber », « j’ai failli avoir un accident », etc. Pour nous, l’emploi de ce verbe FAILLIR est simple. Pas pour lui. Il sait que ça veut dire que quelque chose de pas bon est PRESQUE arrivé, mais pas arrivé. C’est déjà compliqué. Par ailleurs, contrairement à d’autres verbes fréquents, il a toujours la même forme (« failli », jamais « faille », jamais « faillais »). Alors Charles sent bien que ce qu’il dit ne va pas (c’est ça la conscience phonologique!) mais il ne trouve pas la bonne forme. Et le reste de l’énoncé est également approximatif. Au lieu d’évaluer ce qu’il ne sait pas faire, félicitons cet enfant pour son essai d’un énoncé extraordinairement complexe. D’ailleurs, les adultes non-francophones apprenant le français n’arrivent pas non plus à s’emparer de cette expression, c’est dire sa difficulté.
Janvier 2020, 3 ans 6 mois
Performances langagières
Charles parle très bien, écoute très très bien, réfléchit, et il pose des questions sur ce qu’il ne comprend pas. Le rêve en maternelle…
On le voit ici faire un rappel de récit sans support. Dans la journée, la maîtresse a lu 2 fois Roule-Galette. C’est lui qui décide: je vais te la raconter.
Il ne faudrait pas relever « tout ce qui ne va pas », comme le préconisent les évaluations ministérielles… La seule question intéressante est : avec toutes les approximations dans le récit de cet enfant, qu’est-ce qu’il dit vraiment? A-t-il compris l’histoire? Oui, deux fois oui. Il n’oublie rien et fait très attention à sa précision. Sait-il quels en sont les ressorts – événements? Oui, deux fois oui. Il sait très bien que la galette s’échappe en roulant alors même qu’il dit « i roule si vite » en parlant d’elle. A-t-il compris que tous les personnages n’ont pas le même rôle dans le scénario? Oui, deux fois oui. Il va jusqu’à mimer les grosses voix de l’ours (le ours) et du loup alors qu’il fait une petite voix trompeuse pour le renard. Enfin, il attribue déjà des rôles alors que c’est une attitude fréquente en GS: il demande à l’interlocutrice de « faire le renard ». Bravo Charles! D’ailleurs sa culture en littérature enfantine est époustouflante. Après ce récit, on a cette conversation:
C –tu sais, le renard il est plus malin que le loup
Moi – ah oui! mais comment tu sais ça?
C- ben i dit qu’il est sourd. Et même, il arrive à croquer les oreilles du lapin (référence à Bon appétit Monsieur lapin).
Sur le plan du code, il montre un vif intérêt pour le bruitage. Avec le livre Chutt! (école des loisirs), dès que j’ai suivi du doigt l’écriture de Chutt, il l’a fait systématiquement en prononçant l’onomatopée et il ajoute « ça commence comme Charles ».
Février 2020, 3 ans 7 mois
Charles s’auto-appelle Papa lion. Il parle du Roi Lion, appelle une grand-mère Mamie Lion et dit que la coiffeuse lui a coupé la crinière. Heureusement, il a gardé ses griffes, du moins c’est ce qu’il dit en montrant ses ongles. On est devant le phénomène d’alter ego, bien connu dans les recherches du développement de l’enfant. En voici une courte explication présentée lors d’une conférence en 2015, sous le titre Le sujet enfant, le réel et l’imaginé. L’enjeu est important pour les maîtresses et les maîtres de PS et MS: si un enfant leur demande de l’appeler par un nom bizarre, ils doivent être fiers de leur belle relation aux enfants parce que ce n’est pas à n’importe qui qu’on confie un tel secret. Et il faut absolument respecter ces pseudos pendant leur courte durée: ah oui, j’avais oublié, tu t’appelles Papa Lion!
Mars 2020, 3 ans 8 mois
Charles est en confinement avec ses parents, en appartement.
Le premier jour, il « écrit son prénom » , comme on le lui a appris à l’école: des capitales et pseudo-lettres se promènent dans la feuille, sans ordre. C’est du dessin!!Une activité uniquement visuelle de copie. Exactement ce qu’il faut éviter, selon le Programme (ne pas séparer, valeur sonore, forme et nom d’une lettre).
Avec de l’entraînement graphique chaque jour , voilà comment il écrit son prénom au bout de 15 jours.
Dorénavant, tout le monde peut lire et si on bruite devant lui en suivant du doigt, il sait exactement ce qu’il a écrit. Et il n’est qu’en PS. Preuve que c’est à la portée de TOUS les enfants, à condition qu’ils aient une séance quotidienne, une commande précise (ce qui est à faire, à quoi ça sert, comment s’appliquer) et des valorisations de bravos régulièrement.
Voir Les actions du maître pour amener les enfants vers l’écriture cursive, pages 230-235, pour cette activité si importante et qui est en train de se perdre!!!
Bouleversante scène au travers d’un écran
Alors que je viens de jouer une petite histoire à Charles en faisant parler une figurine de Petit Ours Brun, il s’écrie:
Dis-lui, dis-lui à Petit Ours, faut pas qu’il alle voir ses grands-parents, à cause de la maladie!
Juin 2020, 3 ans 11 mois
Charles est « déconfiné » mais n’est pas retourné à l’école.
En ce moment, tout est basé sur les animaux, il les collectionne, les aligne, les nourrit, les fait parler. Il a passé toutes ces longues semaines à beaucoup jouer, essentiellement à des jeux de faire semblant : le « petit théâtre », parfois appelé « gros théâtre » selon la durée du scénario, correspond à des moments où des personnages animaux vivent dans un lieu où ils font des rencontres et ont des aventures (manger, être mangé, se faire des amis, aller à l’école, etc).
Les avancées cognitives
– Dorénavant la « théorie de l’esprit » (représentation des représentations d’autrui) est vraiment à l’œuvre. Un personnage peut faire semblant, guetter un repas, faire une surprise à quelqu’un, aller chercher de l’aide, lui demander s’il est gentil ou méchant.
– De très nombreuses remarques mettent en évidence l’intérêt de Charles pour la dénomination. Il demande « qu’est-ce que c’est ? », « qu’est-ce que ça veut dire ? ». Il décide d’appeler un mouton Mouton et un cheval Cheval, en précisant bien que c’est leurs noms. Mais il y a plus, il s’arrête de jouer et ajoute : « il y a les chevaux, les poneys, les poulains, les juments ». Il se demande s’il a le droit de mettre un loup dans la ferme, et, « ah non il va vouloir manger les lapins ! ». Il aime donc nommer et constituer des « classes » en fonction de l’habitat, de la nourriture, de leurs caractéristiques physiques (un visiteur n’a pas intérêt à appeler tiranosaure un triceratops !).
– Ses activités métalinguistiques se multiplient: au niveau lexical, il peut dire « il y a 2 pêches, celles des poissons et celles qu’on mange en dessert » ; au niveau des rimes et des attaques, il fait des repérages spontanément, « canard c’est comme cadeau« , ou « mouton – cochon, ça commence pareil » (parce que je lui ai dit parfois que ça finissait pareil et qu’il utilise le verbe commencer, mais ça n’est pas du tout une erreur).
– La culture littéraire de Charles est assez époustouflante. Il a 47 livres dont il connaît les histoires, les personnages, les illustrations. Il est capable de nommer un livre qu’on cache et dont on lit un énoncé à l’intérieur des pages : « Il décide de téléphoner au gardien » à « c’est l’éléphant d’Onésime ».
Un moment avec un livre
L’histoire Le coq glouton, Mini classique du Père castor, Flammarion, est une randonnée : le coq a un haricot coincé dans le gosier, la poule demande du beurre à la fermière pour faire passer le haricot mais celle-ci lui conseille de demander du lait à la vache pour avoir du lait et faire du beurre, etc…
Dans cette première vidéo, on voit Charles faire l’inventaire des animaux de la double page et, en réponse à la question de l’adulte « alors qu’est-ce qui arrive dans cette histoire ? », il commence son récit : là y’a le coq, i s’étrangle, là y’a la poule, elle va voir la dame, elle dit, sinon i va vo- i va mourir ». A la suite d’une intervention d’adulte (comment ça se fait qu’il lui faut du beurre ?) il dit « parce qu’il a avalé un gros haricot ! ». Pour les maîtresses, c’est le rôle décisif de leurs interventions, avec des questions ouvertes.
Dans cette vidéo c’est la fin de l’histoire et Charles fait une « pseudo-lecture de « Co-co-ri-co ! ». Pour les maîtresses, c’est le rôle décisif de leurs écritures et de leurs lectures en montrant – bruitant qui porte ses fruits.
BILAN ET SPECIFICITE DE LA PERIODE 2 / 4 ANS A L’ECOLE MATERNELLE
A 2 ans, on a vu que Charles cherchait à classer les objets de sa vie courante de petit (amusique pour ce qui était chanté) et construisait seul des mots à partir de ce qu’il entendait pour pouvoir évoquer ses intérêts. Vers 3 ans, il a dit « je » pour parler de lui dans des situations qui le concernaient vraiment et a fait d’énormes progrès en vocabulaire et en désinences verbales, uniquement grâce aux interactions avec les adultes et avec les histoires des livres.
Toutes ces conquêtes langagières sont NON-CONSCIENTES pour Charles. Elles n’ont été possibles que grâce au moteur AFFECTIF mobilisé par des relations paisibles avec « ses » adultes et par les fictions de littérature jeunesse.
100% d’affect et non-conscience du langage sont les spécificités de cette période que je considère comme première étape à l’école maternelle.
Pour Charles, elle est en place un peu avant 4 ans. Selon les enfants elle arrive entre 3 ans et demi et 4 ans et demi, avec toute la prudence qu’on doit avoir lorsqu’il s’agit d’âge.
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A partir de 3 ans, on a des traces progressives de sa construction d’UNE THEORIE DE L’ESPRIT: il fait des blagues, puis comprend les ruses du renard, puis joue à être le renard qui arrive à tromper le loup. Il prend donc en compte les représentations d’autrui (voir http://progmaternelle.free.fr/classe/texte5.pdf).
Il se trouve qu’à cette avancée correspond le fait qu’il arrête de dessiner parce qu’il est déçu de ses productions par rapport à celles des adultes et celles des albums qu’il fréquente tellement. Cela veut dire qu’il sait dorénavant ce qu’il sait et qu’il sait ce qu’il ne sait pas. Tout se passe comme si Charles se représentait en train d’apprendre.
Cette CONSCIENCE DE SES PROPRES APPRENTISSAGES atteint une grande complexité quand il se met à commenter autre chose, son activité symbolique qu’est le langage. Il dit par exemple « ah comment ça s’appelle, ah, oui, une récompense! ».
On parle alors de PREMIERE CONSCIENCE D’ORDRE METALINGUISTIQUE.
Voici donc les 3 piliers des activités cognitives qui vont caractériser ce que j’appelle la seconde étape en maternelle, après 3 ans 1/2- 4 ans 1/2 selon les enfants:
1. la théorie de l’esprit
2. la conscience des apprentissages
3. la conscience de certains aspects de l’activité langagière
Et ces 3 piliers ne se construisent que dans les situations courantes d’affect.
C’est pourquoi je considère scandaleux de demander aux maîtres de maternelle d’enseigner le vocabulaire, comme un objet de savoir, hors situation vécue. Tout comme de leur conseiller la reconnaissance des lettres dès la section des petits ou les activités artificielles dites de phonologie. Les enfants rencontreront tout ça, sous certaines conditions, et très très lentement, dans la seconde étape de maternelle c’est-à-dire actuellement, à partir de la seconde moitié de l’année de MS.