Chapitre 4 – janv / fév

Suivi de la classe au 4 février 2024

Voici les nouvelles de cette période:
– la présence des enfants sur cette période, et les incidences
– le langage des enfants, dont l’oral et les jeux symboliques (suite)
– la mise en route du cahier de vie (événement)
– la mise en route des carnets de progrès (évènement)
– les activités de tri pour la catégorisation
– les anniversaires (évènement)
– un exploit récent, d »écriture » (évènement)
– à propos des comptines mimées

Présence des enfants à l’école et spécificité de la TPS

L’avancée est spectaculaire. D’une part la classe compte maintenant 21 enfants, ce qui est beaucoup. D’autre part, le travail de la maîtresse pour convaincre les familles de l’intérêt d’une fréquentation régulière et quotidienne, donne des résultats. Les enfants ont été présents, en janvier, à 84%, c’est-à-dire qu’ils étaient entre 16 et 19 chaque matin, et presque autant l’après-midi.

Du coup, l’ambiance de la classe change: les enfants connaissant parfaitement la classe et ses ressources, ayant confiance dans leurs 2 adultes de référence, ayant fait de gros progrès moteurs et en langage, ils sont très vivants. Ils se déplacent beaucoup, parlent fort ou crient, et prennent des initiatives (par exemple, faire un montage à partir de 2 pièces de jeu de bacs différents).
M parle régulièrement de ce niveau sonore et cette ambiance un peu « bazar », se demandant si elle peut « obliger » (inciter) les enfants à rester 10 ou 15 minutes dans la même activité. Excellente question.
Mon conseil est d’attendre qu’au moins la moitié des enfants aient passé l’âge de 2 ans et demi. Ce sera en Mai. Car Bernard Golse (2006), pédiatre psychanalyste, qui a milité contre la scolarisation à 2 ans, nous a rappelé que ‘ »jusqu’à deux ans, les enfants ont bien d’autres choses à faire qu’à apprendre, au sens strict du terme« . C’est l’enjeu de la réflexion présente sur ce site: garder le cap de préparation à l’école obligatoire ET être très vigilant à l’aspect développemental de ces enfants. Il s’agit d’essayer d’être le plus possible et le plus souvent « dans la bonne zone » de Vygotsky. En d’autres termes, aucun apprentissage n’est proposé ici de façon scolaire: pas d’exercice à (au sens de s’exercer à), pas de consigne à appliquer (regarde comme je fais et imite), pas d’attente de succès par rapport à ce qui serait un échec. Ici, les enfants vivent leur vie et l’enseignante:
– soit les accompagne pour que les enfants moins participants osent démarrer,
– soit propose elle-même des zones dont elle pense que ça peut les intéresser. Mais sans consigne et sans demande de sa part. Par exemple, on va voir plus bas dans ce chapitre qu’elle se met à fêter l’anniversaire d’une poupée avec un gâteau en pâte à modeler. Cette scène est en apparence un simple jeu. Et non! Il est un jeu symbolique tel que la majorité des enfants en déploient maintenant, il est une activité sociale que les cognitivistes appellent « script » de la vie ordinaire (suite de scènes qui se déroule toujours de la même manière dans le temps) et donc une entrée dans la culture (quand on connaît un script, on l’anticipe et on le reproduit) et il est enfin la possibilité pour chaque enfant de s’identifier à cette poupée puisqu’ils sont prévenus qu’ils auront tous bientôt 3 ans. Dernière remarque: dans la mesure où l’initiative de la maîtresse se déroule sans obligation pour les enfants, elle a comme travail de remarquer qui s’intéresse, vient, participe, et qui ne le fait pas. C’est ainsi qu’elle va faire plus pour les enfants que j’appelle prioritaires.
La TPS peut être une prévention à l’aggravation des écarts entre enfants.

Les enfants, le langage et les jeux symboliques

Rappel de la période précédente: il y avait 7 enfants prioritaires, 5 qui « démarraient » et 8 qui se débrouillaient très bien. La présence plus régulière des enfants et leurs expériences dans cette classe ont permis du changement:
– un enfant a été absent en janvier, pour soins médicaux.
– 3 des 7 prioritaires ont rejoint ceux qui commencent à parler et s’intégrer, c’est KAT, MEL et MOB. Mais un enfant du deuxième groupe devient prioritaire car il ne va pas bien ces temps-ci. Les prioritaires sont 5, ce mois-ci, KLO, NAI, YOU, MIC et ANA. Certains ont des suivis médicaux (Centre d’Action Medico-Sociale Précoce = CAMPS, orthophonie, psychologue, pédiatres).
6 enfants montrent des signes d’intégration à la vie de la classe (par exemple dans le regroupement, avec les comptines, avec les livres) et avec les copains. Mais ils parlent peu ou il leur arrive d’être un peu agressifs. M y est très attentive. Il s’agit de AL, EM, KA, KAT, MEL, SI .
9 enfants parlent bien ou très bien, jouent, cherchent les contacts avec les autres et développent beaucoup d’activités symboliques. C’est AD, HA, MOB, LI, MAD, MOH, RA, YA, AL. A noter quelques hautes performances chez certains à cet âge, comme faire une blague à M en se cachant ou utiliser des verbalisations sociales (« bonjour maîtresse, je suis là« ).

Selon M, les enfants en progrès assez spectaculaires ont changé à partir des rendez-vous avec les parents autour du carnet de progrès qu’on évoquera plus bas. C’est très important dans le contexte REP+. Car si on sait que les jeunes enfants ont besoin d’être soutenus par les parents pour pouvoir « faire confiance » aux adultes de l’école, c’est encore plus vrai ici. A partir du moment où ils sont gratifiés conjointement par la maîtresse et une maman et/ou un papa, ils ont très envie d’avancer. C’est littéralement la notion d’évaluation positive qui joue.
Je rappelle ici une belle illustration de ces moments dans la vidéo « Bravo! a l’école maternelle on apprend » (SNUIPP-Brigaudiot 2009) en ligne ici.

La mise en route du cahier de vie

Il s’agit d’un grand cahier qui appartient à la classe et ne quitte pas la classe. Il est à la disposition des enfants (posé sur une table) et des parents quand ils viennent chercher leur enfant.
Il est une sorte d’équivalent des comptes-rendus que font les professionnels de crèche aux parents, chaque soir. C’est une photo avec sa légende qui est un souvenir particulier d’une journée, datée.
Il y a donc un moment où M explique aux enfants regroupés ce qu’elle a choisi de garder de ce jour-là et elle l’écrit devant eux.


Nombreux sont les enfants attentifs. Ils sont ainsi sur le chemin de l’objectif 6 du Programme: Découvrir la fonction de l’écrit. Car il faut avoir en tête qu’en REP+, hélas bien peu d’enfants voient un adulte écrire, encore moins en expliquant ce qu’il fait.
Une fois le texte écrit, M va chercher l’illustration (photo prise auparavant, et tirée), la montre aux enfants et la colle dans le cahier. Je tiens beaucoup à cet ordre dans les activités adultes dont les enfants sont spectateurs: ils écoutent de l’oral (M évoque), ils assistent à l’écriture commentée de l’énoncé et sa relecture, ils assistent à l’illustration du texte. L’image vient en effet APRES le langage. Il s’agit ici de préserver l’oral comme activité symbolique signifiante sans besoin de support. Quand M écrit, tout au plus, les enfants peuvent mobiliser un souvenir mental. En revanche, quand ils voient arriver la photo, ils re-connaissent quelque chose. Tout ça compte pour eux!!


Le cahier de vie est un support très intéressant pour le langage des enfants, souvent à plusieurs: ils tournent les pages, nomment les personnes qu’ils reconnaissent et commencent à évoquer le lieu ou l’événement. Il est possible de transmettre ce précieux témoignage à la classe d’accueil l’année suivante.

La mise en route des carnets de progrès

On a évoqué ces carnets dans le chapitre 3. Ils sont très importants pour les enfants puisqu’ils reflètent leur progrès successifs dans le contexte scolaire et que maîtresse et parents vont « célébrer »: Bravo!!!
En janvier, les 21 petits carnets étaient prêt pour la mise en service de ces outils précieux. Et ce sont des objets appartenant à chaque enfant. Ils ne quittent pas la classe cette année mais les parents sont prévenus qu’ils les récupèreront en fin d’année.

J’explique comment fait M pour l’organisation précise avec les parents –> Enseignement –> Evénements


La question de la catégorisation, de la nomination et du nombre

On voit dans les notes de la maîtresse de TPS que des enfants font spontanément des tris en regroupant des « familles » de briques ou d’autres objets. Alors oui, il faut saisir cette occasion car tous les enfants passent par cette période où ils aiment bien mettre ensemble des choses ou ranger, comme des voitures, bien alignées, ou encore les oeufs de Pâques comme le fait fièrement Martin sur cette photo:

Cette activité spontanée (sans consigne particulière) se retrouve chez tous les enfants, quelle que soit leur langue maternelle. S’ils peuvent s’exprimer et qu’on leur demande alors ce qu’ils ont fait, ils dénomment un à un chaque objet ou disent le nom générique de la « famille objets » (les oeufs). On appelle ça catégoriser, c’est-à-dire construire mentalement une catégorie, une classe au sens logique. Et on voit qu’une catégorie permet de reconnaître et même de nommer.

Dans la classe suivie de TPS en REP+, la maîtresse a demandé aux enfants de mettre ensemble toutes les voitures bleues. C’est en effet entre 2 et 4 ans que les enfants reconnaissent les couleurs simples, mémorisent leurs noms et les comprennent. Un moment de ce tri a été noté dans le cahier de vie de la classe et l’enfant filmé ici s’arrête sur la page:

L’enfant commence par pointer les voitures bleues prises en photo et énumère: bleu, bleu, bleu, bleu.
Plusieurs remarques.

–> D’abord le fait qu’il dit plutôt « blé » que « bleu ». C’est une question de prononciation difficile pour lui parce que c’est un enfant arabophone. Les voyelles arrondies (ou labiales) « eu » et « un » du français n’étant pas attestées en arabe conversationnel, les enfants qui n’ont appris que cette langue sont en difficulté. Ils prononcent alors une voyelle qu’ils maîtrisent et qui a une articulation proche. Tous ceux qui apprennent une nouvelle langue passent par ce type de détours.
–> Ensuite, on remarque que l’enfant ne nomme pas les objets (il ne dit pas voiture, ou auto) mais leur caractéristique. La consigne de la maîtresse est appliquée: l’enfant utilise une catégorie « abstraite » (un mot) qui pour nous est une couleur.
L’enfant continue ses commentaires sur des pages du cahier et arrive sur la photo de l’anniversaire de 2 enfants. Il dit alors gâteau gâteau. Cette fois-ci ce sont des noms d’objets. On voit donc que les toutes première catégorisations touchent différentes entités. Elles permettent un langage possible grâce aux notions regroupées mentalement et non consciemment. C’est une facilitation pour la réflexion, les inférences, la compréhension. Et surtout, les enfants peuvent nommer, avec un signifiant à leur disposition (« voiture » ou « bleu »). D’ailleurs, à cet âge, c’est souvent ce qu’ils font avec un livre. C’est très bon signe. Parce que même si le livre « raconte » (comme Petit Ours Brun s’habille) les enfants très jeunes ne font pas encore de récit. Ils font donc ce qu’ils savent faire: ils s’arrêtent aux images et nomment ce qu’ils reconnaissent et / ou commentent en pointant. C’est un début.
–> Enfin, il y a les manières très professionnelles de rebondir par la maîtresse. Elles reprend, complète, valorise. Et pour « gâteau, gâteau », elle rappelle ce qu’elle a dit lors de l’évènement gâteau – bougies: « oui, un gâteau pour Y, et un gâteau pour E, ça fait deux gâteaux!« . On en vient à un apprentissage complémentaire, le nombre.
C’est le fait de catégoriser qui permet de quantifier les exemplaires d’une catégorie. Il est donc très bon pour les enfants de travailler ces notions en parallèle.
M évoque ainsi une suite proposée aux enfants, en séance de motricité.
Voici son récit:
En motricité, nous faisons depuis la rentrée de janvier des jeux de déménageurs. Les adultes sont au départ et à l’arrivée.
1ere semaine: 1 brique  pour 1 enfant, nous avons fait varier les modes de déplacement.
2ème semaine : 1 brique pour 1 enfant mais tri par couleur (briques bleues sur tapis bleu, briques rouges sur tapis rouge). 
3ème semaine : 1 brique par enfant à transporter avec un engin qui roule à pousser ou à tirer (porteurs, chariots, poussettes, caisses avec une ficelle à tirer, il y en avait plus que d’enfants).
4ème semaine : 2 briques par enfant (une dans chaque main). Ce sont les adultes qui commentent au départ et à l’arrivée: « 2 c’est un et encore un, comme tes mains ».

Ce jeu va consolider le sens des anniversaires décrits ci-dessous.

Les anniversaires de janvier

Journal de la maîtresse de TPS:
Avant de fêter les anniversaires de janvier, nous avons joué « aux anniversaires » avec de la pâte à modeler.
J’avais apporté de petits moules en silicone et lorsque je m’installais à cet atelier, je jouais la maman qui cuisine un gâteau pour l’anniversaire de son enfant de 3 ans. Je parlais à une poupée en lui disant : c’est ton anniversaire, on va faire une fête d’anniversaire parce que tu as grandi : tu sais marcher, tu sais courir et sauter voilà tu as 3 ans! Et voici ton gâteau avec 3 bougies. Je les allume « pour de faux, chic, chic ». On chante ! tu peux souffler ! je t’aide à souffler. on applaudit ! Bravo tu es grande…tu as 3 ans. Ils adorent…

Et ces explications ont été reprises pour les vrais anniversaires de 3 ans. Car le plus souvent, les adultes ne se posent pas la question du sens porté par le nombre de bougies. Pourtant c’est très très très complexe. Le fait d’allumer – souffler une bougie symbolise le passage d’une année à une autre. Le nombre de bougies correspond au nombre d’années déjà vécues. Or les enfants de cet âge ne savent pas ce que ça veut dire. D’où les graines semées en TPS… parce que ça fera du sens d’ici quelques années. Le choix a été fait d’évoquer les années par des grandes conquêtes, par exemple: 1 an –> la marche, 2 ans –> le langage, 3 ans –> courir, etc. Mais ce peut être d’autres exploits. L’essentiel est de commencer à construire un lien (cognitif) entre anniversaire-nombre de bougies-nouveaux apprentissages. On verra jusqu’où on peut aller, dans cette construction du temps personnel, quand les enfants seront en GS.

Un exploit récent d’enfants,  » l’écriture »

Dans un atelier de dessin libre, 2 fillettes, après avoir dessiné, se sont mises à faire autre chose:

Voilà bien un exploit. Il s’agit de la première écriture faite par les petits qui « miment » ce qu’ils ont vu faire par la main d’un adulte. Les tracés sont alors très différents des dessins (qui sont essentiellement des cycloïdes) et ressemblent à des « dents de scie », en ligne ou en signes séparés. On pense que c’est la composante motrice de l’acte d’écriture qui est imitée (main qui tient le feutre et bouge en s’arrêtant de temps en temps).
Mais ce n’est pas tout. Car lorsque M a demandé aux fillettes ce qu’elles venaient de faire, elles répondent qu’elles ont écrit leur prénom. Ce simulacre est donc une signature. On a les 2 composantes nécessaires et suffisantes pour avoir de l’écrit: graphique et sémantique.
C’est un véritable évènement!! Il faut en féliciter leurs auteurs et en faire une publicité dans le groupe- classe.
La voici. En regroupement, M montre les 2 tracés, les explique au groupe en insistant: c’est magnifique, elles commencent à écrire et vous allez bientôt savoir tous écrire!! On applaudit.
Et maintenant on va faire quelque chose. Voilà 2 dessins qu’elles ont faits. Je les mets au tableau et elles vont faire l’écriture de leur prénom, comme elles savent. Et moi aussi je vais le faire. Un dessin et l’écriture de mon prénom.

(un moment après, affichage des 3 feuilles et constat)

M – et ça ressemble!!! Là , là, là, c’est des dessins, et ici, ici, ici, c’est de l’écriture. Vous voyez, vous allez tous apprendre à dessiner et à écrire. Je suis très contente (applaudit).

Voilà exactement une utilité très très précieuse de cette classe, précoce, et en REP+: la première culture de l’écrit naît chez les enfants de leurs observations des usages de l’écrit. On ne le dira jamais assez. Ce n’est pas en récitant l’alphabet que les petits entrent dans l’écrit. C’est en voulant à tout prix faire comme les adultes, conquérir ce pouvoir fabuleux qui consiste à « parler en traçant quelque chose ». C’est ce qui me fait dire que les enfants de milieu favorisé ont une double chance quand ils voient les usages de l’écrit (en écriture et en lecture) à l’école et à la maison. En milieu défavorisé, il faut absolument qu’ils assistent à ces usages à l’école.
Les recherches actuelles sur la littératie vont dans ce sens. Elles sont, pour la plupart, anglo-saxonnes. Mais peut-être que Jacques Fijalkow avait déjà dit l’essentiel en 1997 dans Entrer dans l’écrit: oui, mais par quelle porte?

A propos des comptines mimées

Dans son compte-rendu de la période passée, M se pose la question du nombre de comptines à proposer aux enfants et m’en demande d’autres, mais à condition qu’elles soient « mimées« , précise-t-elle. Cette remarque est très intéressante, surtout pour cette classe.
Les comptines, notamment assorties de gestes, sont utilisées par le personnel des crèches, parfois dans les familles (par transmission d’une grand-mère ou d’une mère qui les a utilisées jusqu’au nouvel enfant), et à l’école maternelle, à tous les niveaux de classes.
On dit souvent que leur apprentissage est une aide au langage. Mais pourquoi exactement?
Pour le comprendre je vais d’abord analyser une vidéo de Charles, faite à 1 an et 8 mois, dans une pièce où je suis. Disons qu’on a de la connivence, Charles et moi, et que je fais partie des adultes qui lui disent des comptines mimées. Voilà la scène, en raccourci, car ici on assiste à 6 fois la même comptine demandée par l’enfant, mais que ça a continué plus longtemps en réalité.

-Charles est de dos, sur le canapé du salon, et il fait rouler son éléphant verticalement au-dessus du canapé. A cette époque c’est un jeu habituel qui lui permet de faire tomber de nombreux jouets derrière le canapé pour les voir disparaître et qu’on aille les lui chercher (jeu de présence-absence).
-A un moment il se retourne et me voit, un peu surpris, en disant « we-we » que j’interprète comme « ah tu es là » ou « ah c’est toi qui es là« . C’est fréquent à cet âge qu’un enfant « s’étonne » de ce qui entre dans son champ visuel: j’emploie cette formule car tout se passe comme si ce n’était pas lui qui voit quelque chose mais que quelque chose se met à le regarder. Parfois le bébé va jusqu’à pousser un cri, tant la surprise est grande. Les plus belles descriptions de ce phénomène ont été faites par Daniel Stern. C’est à partir de cette découverte faite par Charles (car il aurait pu être gardé par une autre personne dans le même cadre) que va découler un événement « comptine ». C’est dire qu’on a ici LA valeur des comptines pour un petit enfant: c’est une relation particulière à un adulte particulier. Mon travail est très dépendant de ce principe de relation parce que lorsque celle-ci existe, l’enfant dialogue en vrai avec son adulte: il sait ce qu’il « représente », ce qu’ils partagent en commun tous les deux, il anticipe sur ce qui va se passer avec lui, etc. On est typiquement dans les routines de Bruner. Et à l’école maternelle, ce que j’en ai gardé en plus de la relation de connivence, est le fait que la maîtresse qui a une grande connaissance de ses élèves va toujours leur proposer des activités dans la bonne zone vygotskienne. Par exemple, en participant ici à une activité à deux, avec du langage, alors que Charles ne sait pas encore parler. Et on va voir à quel point ça fonctionne!!
-Charles redescend sur le canapé comme s’il allait venir vers moi, trouve un coussin, y met son doigt, le retourne et se met à le taper de la main droite en me regardant et en disant « enco! enco! enco!«  qui est interprétable par « je veux que tu fasses quelque chose qu’on fait tous les deux ». A cette époque-là c’est l’équivalent de « dis », « fais », « chante », etc comme des impératifs sans le verbe.
-Démarrage comptine 1: je réponds « oui » et aussitôt Charles met son doigt à hauteur de ses yeux puis de son front. Je réagis par « ah tu veux que je fasse le trottoir, les lumières... »
-Par la suite, il fait la suite de gestes (le trottoir = le front, les lumières = les yeux, les gouttières = les narines, le grand four = la bouche ouverte) jusqu’au moment où son sourire redouble car c’est LE MOMENT QU’IL ATTEND avec « le tambour » en tapant des 2 mains sur son ventre.
C’est donc l’aspect du coussin qui lui a fait penser au ventre qu’on tape.
En psychologie développementale, on appelle intermodalité le fait pour un enfant de mobiliser, en même temps, plusieurs modes de représentation mentale: ce qu’il perçoit dans de la langue entendue, dans une musique, dans un bruit particulier, dans un toucher, parfois même dans un goût, etc, pour évoquer et se remémorer une scène. Ici l’aspect du coussin ET le frappé agréable constituent une intermodalité.
-Retour à la vidéo. C’est donc le scénario « comptine du zimbadaboum » qui va démarrer et se répéter à l’identique maintes fois.
– On remarque que Charles utilise chaque fois « enco! » pour recommencer et qu’il lui arrive de prononcer « ère » quand il met ses doigts sur ses yeux pour « lumières » (comptine 3ème et 4ème fois). Il commence donc à répéter « du sonore entendu » dans un contexte particulier. De plus, il est tellement occupé qu’il lâche assez vite son éléphant et qu’il passe de l’index main droite aux 2 index dans les gestes. Bravo, c’est difficile.
Voilà beaucoup d’apprentissages grâce à une toute petite comptine.
Je considère qu’aux niveaux TPS et PS de maternelle, le bénéfice essentiel de ces comptines est le partage social (elles sont apprises en regroupement avec tous les enfants) d’une activité à la portée de tous (même sans langage).
Et je suis en train de mettre en ligne d’autres ressources au sujet de cette belle activité, et à tous les niveaux de maternelle. C’est dans le mot-clé Comptines.

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